Quel impact dans les territoires ?

Le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (Nicolas Revel) et la directrice générale de l’offre de soins (Cécile Courrèges) ont mis en avant, lors du congrès, la place essentielle du premier recours dans l’organisation du système de santé. Simple propos de congrès ou véritable virage ambulatoire ?

Depuis 60 ans (1958), le système de santé français est organisé autour du système hospitalier et universitaire qui en est l’épicentre. La médecine d'aujourd’hui est le fruit de cette réforme qui a permis à notre pays de se doter d’infrastructures hospitalières et universitaires capables de relever les nombreux défis sanitaires auxquels notre société est confrontée. Cependant, dans ce modèle, la médecine générale avait peu de place. La reconnaissance de la médecine générale comme spécialité médicale (2004) puis la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST-2009), ont fait bouger le balancier. L’organisation des soins de premier recours est devenue progressivement un axe majeur des politiques d’organisation du système de soins. Parallèlement, un nouveau mode d’organisation a vu le jour, l’exercice coordonné, au sein des Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) associant des médecins libéraux. A une échelle géographique plus vaste, des Communautés professionnelles de territoire (CPT) sont constituées entre les différentes MSP et les autres acteurs du premier recours.

 

Les temps changent

Les professionnels de santé de premier recours sont donc devenus incontournables et les responsables sanitaires (Haute autorité de santé, Direction générale de l’offre de soins, Direction générale de la CNAM…) étaient « presque » tous présents au congrès de Nantes.  La ministre de la santé, Mme Agnès Buzyn était cependant absente, et c’est Nicolas Revel, directeur général de la CNAM, qui a porté le message politique lors du congrès.

François-Xavier Schweyer, enseignant de sociologie à l’EHESP, a témoigné dans sa conclusion d’une autre  mutation repérée par les lunettes du sociologue. Depuis la loi HPST, les relations entre les professionnels de santé libéraux (ou du moins une partie d’entre eux) et les institutions se sont profondément transformées.

Pendant les années 1980, le système conventionnel ressemblait à un véritable champ de bataille, dans lequel tous les coups étaient permis, entre syndicats bien sûr, mais aussi entre les syndicats et l’assurance maladie, l’arrivée d’un nouveau syndicat (MG France) ayant bouleversé les règles de la représentation syndicale. Le directeur général de la CNAM parle dorénavant d’instaurer un partenariat avec les professionnels de santé libéraux. Ceux-ci, à travers les projets de MSP mais aussi les soutiens qu’ils reçoivent des Agences régionales de santé en matière de cercles qualité, d’actions de prévention… sont en relation directe avec les autorités sanitaires, dans un face à face dont la teneur a profondément changé de nature.

D’autres signes témoignent de ce changement d’époque. Les questions de prévention font partie du cahier des charges des MSP, dont le projet n’est pas sans lien avec un modèle historique pendant longtemps très contesté, voire combattu, celui des centres de santé. 

 

Le « modèle » des MSP va-t-il devenir majoritaire ?

L’accord conventionnel interprofessionnel (ACI) signé le 21 avril 2017 est une étape décisive dans ce processus de recomposition de l’offre de soins de premier recours.  Mais, comme l’ont montré les ateliers, le système n’est pas encore rodé, aussi bien du côté des professionnels que des institutions.

Comme le souligne Pascal Gendry, des résistances existent sur le terrain, avec un certain nombre de professionnels de santé libéraux qui ne veulent pas que leur activité soit « encadrée » par l’assurance maladie. Historiquement, en France, le syndicalisme médical s’est construit contre l’assurance maladie et ces stigmates sont loin d’être effacés.

Face aux difficultés de la démographie médicale, toutes les institutions volent au chevet des soins de premier recours, avec un volontarisme de certaines collectivités territoriales parfois voué à l’échec, quand ces questions sont abordées essentiellement sous l’angle immobilier. La belle photo de famille ci-dessus, prise lors du congrès, avec un stand commun, pour la région des Pays de la Loire, de l’ARS, du Conseil régional, et de l’Assurance maladie montre que la coopération entre les différentes institutions peut fonctionner. Mais la situation est extrêmement diverse selon les régions et cette convergence n’est pas forcément représentative de la situation sur tout le territoire. Il n’y a pas que les MSP qui constituent un réseau relativement hétérogène.

Du côté de l’assurance maladie, un référent ACI a été nommé dans chaque CPAM pour faciliter les liens avec les professionnels de terrain auquel on peut facilement accéder.

Dans les ARS, le soutien apporté aux Fédérations régionales est extrêmement divers.

La ministre de la santé vient de lancer (voir ci-dessous) un nouveau chantier visant à repenser l’organisation du territoire. La Fédération est aujourd’hui confrontée à un véritable défi. Quelle stratégie mettre en œuvre pour passer d’un mode d’organisation qui touche entre 10 et 15 % des généralistes ou des infirmiers libéraux (beaucoup plus dans certains départements) à une forme d’organisation majoritaire. Dans la mesure où l’exercice pluriprofessionnel coordonné n’est pas majoritaire et il est difficile pour la Fédération française des maisons de santé de parler au nom de l’ensemble des professionnels de santé de premier recours !

 

Repenser l’organisation du territoire

Lors de leur Conférence de presse du 9 mars dernier, le premier ministre et la ministre de la santé ont annoncé conjointement cinq grands chantiers de transformation du système de santé qui vont être engagés dans les mois à venir dont celui relatif à l’organisation territoriale des soins. Pour chacun de ces chantiers, un ou plusieurs pilotes ont été nommés avec un calendrier de mise en œuvre. Trois mois seulement après avoir publié la Stratégie nationale de santé (décembre 2017), les cabinets ministériels sont donc repartis à l’ouvrage pour éteindre l’incendie qui couve dans les EHPAD et les structures hospitalières. Car le temps presse, avec un secteur hospitalier sous pression, soumis depuis quatre ans à une baisse de ses tarifs et qui ne semble plus en mesure de répondre aux besoins de soins de la population dans des conditions satisfaisantes.

Aux commandes du chantier relatif à l’organisation territoriale, deux responsables d’ARS, Pierre PRIBILE (Bourgogne-Franche-Comté), et Norbert NABET, (Provence-Alpes-Côte d’Azur), qui doivent rapidement rencontrer les parties prenantes et effectuer d’ici l’été des propositions. Deux priorités vont sans doute émerger dans ce vaste chantier, ceux relatifs à la coordination des soins et à la gouvernance du territoire.

En matière de coordination des soins, le statu quo ne semble plus possible. D’un côté, un budget de 40 millions d’euros pour organiser la coordination des soins dans les territoires au sein des MSP et des centres de santé (aides au démarrage et fonctionnement). De l’autre plus de 300 millions d’euros pour les structures de coordination de tous types : réseaux de santé, équipes mobiles de soins gériatriques, Maia, Clic… La disproportion des moyens est évidente. Un chantier qui, comme on l’a vu (interview de Pascal Gendry) mobilise également les Conseils départementaux qui partagent, avec les ARS, la conduite des politiques gérontologiques au plan local. Autre interlocuteur incontournable, la Caisse nationale de solidarité et d’autonomie (CNSA) qui porte au plan national le réseau des MAIA.

En ce qui concerne la gouvernance territoriale, deux modes de coordination institutionnelle ont été institués, l’un pour le secteur hospitalier (Groupement hospitalier de territoire-GHT), l’autre pour le secteur libéral (Communautés professionnelles de territoires – CPT). Même si ces deux instances n’ont pas exactement les mêmes missions, et si elles ne sont pas organisées au sein des mêmes territoires, elles partagent forcément des préoccupations communes notamment en matière de coopération interprofessionnelle. Fin 2017, 135 GHT étaient constitués au plan national, afin de mutualiser certaines fonctions support des établissements publics de santé, autour d’un projet de santé du territoire. La dynamique est moins avancée pour le secteur libéral au sein des CPTS, le secteur libéral n’ayant pas la même capacité de mobilisation que le secteur hospitalier.

Qui va porter demain l’organisation des soins à l’échelle des territoires ? Les CPTS, les GHT, l’ARS… en tenant compte également d’une évolution des modes de financement des différents acteurs. La tarification à l’activité (T2A) des établissements de santé doit en effet être remplacée par un nouveau système de financement des parcours de soins.

Affirmer la place essentielle de l’organisation des soins de premier recours est une chose. Faut-il encore en tirer toutes les conséquences dans l’organisation territoriale !