Historique

Dans la plupart des pays, les politiques de santé constituent aujourd’hui des enjeux politiques majeurs. Ce terme est cependant d’utilisation récente, même si toutes les sociétés sont confrontées aux questions relatives à la lutte contre la maladie et à la mort. Dans le passé, les questions sanitaires ont été notamment abordées sous l’angle de la réglementation de l’exercice de la médecine, de la lutte contre les épidémies, et des aménagements urbains en matière d’assainissement, encore visibles aujourd’hui dans les vestiges d’anciennes villes romaines. 

 

Le XIXème siècle est parfois considéré comme le siècle de l’hygiène publique [1]. L’industrialisation et l’urbanisation rapide des pays européens, couplées avec l’apparition du choléra (1832), favorisent la prise en compte des idées hygiénistes malgré des connaissances scientifiques très limitées. En agissant sur les conditions de vie, les gouvernements locaux prennent des mesures susceptibles d’améliorer la survie et la santé du plus grand nombre. La construction systématique de réseaux d’égouts et d’eau potable dans les villes européennes date de cette époque. Les premières découvertes scientifiques à la fin du XIXème siècle, et en particulier les travaux de Pasteur, donnent une forte impulsion à ce mouvement. Les politiques de santé s’engagent alors sur le terrain de la prévention vaccinale et de la pratique des asepsies [2].

 

Certains auteurs se sont interrogés sur le fait qu’un pays comme la France qui a créé le mouvement d’hygiène publique moderne et établi la santé publique comme discipline scientifique ait été si lent à en appliquer les mesures sur une grande échelle [1]. Ainsi, les pouvoirs publics ont tardé à introduire des obligations vaccinales contrairement à beaucoup d’autres pays européens. Les préoccupations hygiéniques ont longtemps été essentiellement urbaines, la concentration de populations vivant dans des conditions insalubres favorisant la contagion, et nécessitant l’intervention de la puissance publique. Or, le mouvement d’urbanisation s’est effectué en France à un rythme beaucoup plus lent que chez ses voisins [1], ce qui pourrait contribuer à expliquer pourquoi la France ait tardé à se doter d’une politique volontariste dans ce domaine. Cette réticence à engager des campagnes de vaccination illustre aussi, selon G. Jorland, l’incapacité des pouvoirs publics à « imposer à la population des mesures qui portent atteinte à la propriété, à la famille, et aux libertés individuelles ».

 

Le XIXème siècle est aussi la période de construction en Europe des droits sociaux, avec un pays pionnier dans ce domaine, l’Allemagne. Les bases des systèmes modernes de protection sociale ont en effet été jetées dans ce pays, dès 1883, sous l’influence du chancelier Otto Von Bismarck. Pour contrer l’émergence de forces politiques qui contestent le pouvoir impérial, le chancelier a imposé la mise en place un système de couverture sociale qui couvre une grande part de la population [3]. 

 

En France, l’organisation d’une couverture maladie généralisée s’effectue beaucoup plus tardivement, et en deux étapes (1930 et 1945). Au milieu du XIXème siècle, se sont pourtant formées de nombreuses sociétés de secours mutuels, l’émergence de nouvelles solidarités [2], en lien avec l’extension du salariat et la montée d’une conscience collective des masses ouvrières. Mais il faut attendre la loi sur les assurances sociales (1930), pour que se mette en place une assurance maladie en faveur des salariés de l’industrie et du commerce. S’installe alors un réseau de plusieurs centaines de caisses de sécurité sociale confessionnelles, syndicales, patronales ou généralistes qui collectent les cotisations et servent les prestations. 

 

Le Conseil national de la résistance (CNR) porte en 1945 un programme de transformation sociale qui prévoit notamment l’instauration de la sécurité sociale, sous l’égide des partenaires sociaux. La nouvelle organisation qui se met en place améliore alors sensiblement la protection maladie des salariés, sauf en ce qui concerne le niveau de remboursement des soins médicaux. En 1960, le général De Gaulle parvient à imposer aux professionnels de santé libéraux la signature de conventions obligeant les praticiens à respecter les tarifs de référence de la sécurité sociale.

 

L’ordonnance du 31 décembre 1958 [4] relative à la création des centres hospitaliers et universitaires (CHU) , dans les mois qui suivent l’accession au pouvoir du général De Gaulle, est une étape majeure dans la construction du système de soins français, dont les CHU deviennent alors l’épicentre. La réforme favorise le rapprochement entre les activités de soins, d’enseignement et de recherche. Le développement des établissements hospitaliers et des spécialités médicales et chirurgicales devient prioritaire, les questions relatives à l’organisation des soins de premier recours et à la santé publique passant au second plan.

L’émergence de crises sanitaires successives (sida, sang contaminé, maladie de Creutzfeld-Jacob…), qui mettent en évidence les carences de la surveillance épidémiologique et plus généralement de l’expertise en matière de contrôle de la chaîne alimentaire et de sécurité des produits de santé conduit à réintroduire les questions de santé publique dans l’agenda politique [5] . 

 

Parallèlement, la nécessité de prendre en compte l’ensemble des déterminants de santé s’impose progressivement dans les réflexions des experts, notamment sous l’influence de la Charte d’Ottawa (1986). En France, un premier rapport du Haut comité de la santé publique jette les bases d’une stratégie pour l’élaboration d’une politique de santé [6].  

 


[1] Jorland G. « Une société à soigner : hygiène et salubrité publiques en France au XIXème siècle », Paris: Gallimard; 2010.

[2] Vallin J, Meslé F. « Origine des politiques de santé », in Histoire des idées et politiques de population, volume VII, Caselli G, Vallin J, Wunsch G, (dir.). Paris: INED; 2006.

[3] Bled JP. « Bismarck ». Paris: Perrin; 2013, p. 246-49.

[4] Ordonnance n° 58-1373 du 30 décembre 1958.

[5] Tabuteau D. « Démocratie sanitaire - Les nouveaux défis de la politique de santé ». Paris: Odile Jacob; 2013.

[6] Stratégie pour une politique de santé, propositions préalables à la définition de priorités. Rapport au ministre de la santé et de l’action humanitaire. Haut Comité de la Santé Publique, 1992. 



Page publiée le 6 février 2018