Les politiques de santé entrent dans la loi

Les ordonnances Juppé (1996) marquent un basculement. La fixation des dépenses et recettes de la sécurité sociale (et donc de l’assurance maladie), prérogative qui appartenait auparavant aux partenaires sociaux, devient la responsabilité de l’Etat, dans le cadre de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS). Cette réforme impose, en annexe de la loi, la présentation d’un rapport sur les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale. 

 

En 2002, le Parlement adopte la loi relative au droit des malades et à la qualité du système de santé  (dite loi Kouchner) qui a un impact déterminant pour l’expression des usagers au sein du système de santé [1]. Un article de la loi précise les conditions de présentation de la politique de santé et de son évaluation par le Parlement. « La nation définit sa politique de santé selon des priorités pluriannuelles. L'application de la politique de santé est évaluée annuellement (....). Au vu de ses travaux, le Gouvernement remet un rapport au Parlement avant le 15 juin, sur les orientations de la politique de santé qu'il retient en vue notamment du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l'année suivante". 

 

Après l’alternance politique de 2002, la loi relative à la politique de santé publique [2], votée en août 2004, marque une forte impulsion pour la politique de santé publique. « La Nation définit sa politique de santé selon des objectifs pluriannuels. La détermination de ces objectifs, la conception des plans, des actions et des programmes de santé mis en œuvre pour les atteindre ainsi que l'évaluation de cette politique relèvent de la responsabilité de l'Etat (…) La loi définit tous les cinq ans les objectifs de la santé publique (…) La mise en œuvre de cette loi et des programmes de santé qui précisent son application est suivie annuellement et évaluée tous les cinq ans ». Cent objectifs de résultats [3] de la politique de santé publique  ainsi que cinq grands plans stratégiques sont inscrits dans la loi pour la période 2004-2008  :

  • plan national de lutte contre le cancer
  • plan national de lutte pour limiter l’impact sur la santé de la violence, des comportements à risque et des conduites addictives,
  • plan national de lutte pour limiter l’impact sur la santé des facteurs d’environnement,
  • plan national de lutte pour améliorer la qualité de vie des  personnes atteintes de maladies chroniques
  • plan national pour améliorer la prise en charge des maladies rares.

Le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) procède quelques années plus tard à l’évaluation de certains de ces programmes. La loi relative à l’Hôpital, aux Patients, à la Santé et aux Territoires (dite loi HPST [5]), créée en 2010 les Agences régionales de santé (ARS), établissements publics chargés de mettre en œuvre la politique de santé nationale en région, constitués par regroupement d’un grand nombre d’entités administratives disparates. Cette loi inscrit par ailleurs les questions relatives à l’organisation des soins de premier recours dans les politiques de santé.

 

Les conditions d’élaboration et de suivi des politiques de santé sont une nouvelle fois redéfinies en 2016 [6]. Une politique de santé  «… tend à assurer la promotion de conditions de vie favorables à la santé, l’amélioration de l’état de santé de la population, la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé et l’égalité des femmes et des hommes et à garantir la meilleure sécurité sanitaire possible et l’accès effectif de la population à la santé et aux soins ». Le texte de loi redéfinit également le périmètre de cette politique (la plupart de ces items figuraient déjà dans la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique) :

a. Surveillance de l’état de santé de la population, 

b. Promotion de la santé, 

c. Prévention individuelle et collective, 

d. Animation nationale des actions conduites dans le cadre de la Protection maternelle et infantile, 

e. Organisation des parcours de santé, 

f. Prise en charge collective et solidaire des conséquences financières et sociales de la maladie et du handicap, 

g. Préparation et la réponse aux alertes et crises sanitaires, 

h. Production, diffusion et utilisation des connaissances utiles à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique de santé, 

i. Promotion des activités de formation, de recherche et d’innovation dans le champ de la santé, 

j. Adéquation entre la formation initiale des professions de santé et l’exercice ultérieur de leurs responsabilités, 

k. Information et participation de la population, directe ou par l’intermédiaire d’associations, aux débats publics sur les questions de santé, et sur les risques sanitaires et aux processus d’élaboration et de mise en œuvre de la politique de santé. 

 

La politique de santé se décline en de multiples plans et programmes, 

nationaux mais aussi régionaux

Ainsi, à quatre reprises (1996, 2002, 2004, 2016), les conditions d’élaboration et d’évaluation des politiques de santé ont été définies par la loi. Mais ces dispositions n’ont pas ou très partiellement été appliquées. Le principe de la publication d’un rapport annexe joint à la Loi de Financement de la Sécurité Sociale, suite aux ordonnances de 1996, a vite été abandonné (selon Tabuteau). La disposition prévoyant la présentation d’un rapport annuel au Parlement sur les politiques de santé, inscrit dans la loi de mars 2002, n’a jamais vu le jour. Enfin, la réévaluation des objectifs de santé publique, à cinq ans (prévue dans la loi d’août 2004), n’a pas été effectuée.

 

Ces constats témoignent des hésitations des différents gouvernements à définir les modalités concrètes d’élaboration d’une véritable stratégie en santé. Dans un rapport [8]  effectué à la demande du ministre chargé de la santé (2010), l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) soulignait le fait que la politique de santé se décline en France à travers de nombreux plans et programmes, s’ajoutant les uns aux autres, avec des objectifs multiples sans axes prioritaires. L’existence même d’une politique de santé y est questionnée. Comme le soulignent les auteurs du rapport « les enjeux dans le domaine de la santé ne sauraient échapper au débat politique », ce qui interroge sur le rôle du Parlement. 

 

La multiplication des plans nationaux se conjugue avec une réforme majeure intervenue en 2010, à savoir la mise en place dans chaque région d’une Agence régionale de santé (ARS). Chaque ARS est chargée, tous les cinq ans, de l’élaboration et de la mise en œuvre du Projet régional de santé (PRS), composé lui-même de différents plans et programmes en santé. 

De plus, dans les régions, des déclinaisons des plans nationaux de prévention des risques pour la santé liés à l'environnement et du plan national santé travail sont conduites par les administrations de l’Etat. Le pilotage de l’action publique sur le plan gérontologique et dans le domaine du handicap repose, quant à lui, sur une double tutelle des Agences régionales de santé d’une part, et des Conseils départementaux d’autre part, qui conduisent chacun leur propre schéma d’organisation. 

L’efficacité des politiques publiques, soumise aux conditions de la coordination entre les niveaux d’intervention nationaux et régionaux, et entre les plans et programmes portés par les différents ministères, est ainsi questionnée.

 

Quel rôle pour le Parlement ?

En France, les questions de santé sont au cœur des travaux du Parlement, qui a adopté, au cours de la période 2004-2010, en sus des lois de financement de la sécurité sociale, douze lois consacrées à la santé et relatives à :

  • l’assurance maladie, 
  • la sécurité sanitaire,
  • la santé environnementale, 
  • l’organisation du système de santé, 
  • l’exercice des professions de santé, 
  • la bioéthique,
  • les droits des malades. 

Sept lois supplémentaires concernant les collectivités locales, l’environnement, la protection de l’ordre public ou encore la simplification du droit, et ayant une incidence directe sur la législation sanitaire sont également dénombrées. 

Cette inflation de l’activité législative contraste avec le rôle relativement limité du Parlement en matière de suivi et d’évaluation des politiques de santé : les préconisations inscrites dans la loi Kouchner qui donnaient des prérogatives importantes dans ce domaine au Parlement n’ont pas été mises en œuvre, et ont disparu du Code de la santé publique.

Le Parlement a pourtant un rôle majeur, chaque année, dans le vote des crédits alloués aux différentes composantes du secteur de la santé, dispositions qui sont rassemblées dans deux lois différentes : la Loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS) et la loi de finances. 

La LFSS détermine les charges et les ressources des différentes branches de la sécurité sociale (maladie, accidents du travail-maladies professionnelle, retraites et allocations familiales) et fixe un Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM). 

Parallèlement à la LFSS, le Parlement vote, dans le cadre de la Loi de finances, le budget de l’Etat concernant la santé, qui recouvre essentiellement l’aide médicale de l’Etat (AME) pour les étrangers en situation irrégulière, enveloppe représentant 0,3 % du budget de l’Etat (loi de finances 2016). Les dépenses de l’Etat ne contribuent que pour 1,4 % à la Consommation de Soins et de Biens Médicaux (CSBM) [9].

L’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) [8] a fait le constat qu’aucune de ces deux lois (LFSS et loi de finances) ne constitue le lieu propice pour effectuer un suivi annuel des politiques de santé. Elle préconise de rassembler l’ensemble des crédits affectés à la santé dans une seule loi afin de mieux identifier les enjeux des politiques de santé. 


[1] Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

[2] Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.

[3] Rapport du Groupe Technique National de Définition des Objectifs (GTNDO) : analyse des connaissances disponibles sur des problèmes de santé sélectionnées, leurs déterminants, et les stratégies de santé publique : définition d'objectifs. Paris : La documentation française; 2003.

[4] Code de la santé publique-art. L1411-1.

[5] Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

[6] Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

[7] Code de la santé publique-art. L1411-1.

[8] Lopez A, rapporteur. Rapport sur les conditions d’élaboration et de mise en œuvre de la politique nationale de santé. Paris:  Inspection Générale des Affaires Sociales; 2010. Commandité par le Ministère de la Santé et des Sports.

[9] Les dépenses de santé en 2015. Résultats des comptes de la santé. Paris: DREES; 2016.



Page publiée le 6 février 2018