Refondation de la santé publique :

les remèdes du Pr Chauvin

Face à certaines faiblesses du système de santé publique français qui sont apparues de manière criante pendant la crise, le Pr Chauvin propose ses remèdes. L'organisation sanitaire n’est pas bouleversée ; la mission Chauvin préconise la création d'un Institut français de santé publique et d'instituts régionaux. Elle propose de renforcer les échelons territoriaux des ARS. 

Dessiner la santé publique de demain

Combler en dix ans le retard d'espérance de vie en bonne santé

Améliorer le système de santé et pérenniser le système de protection sociale

Promouvoir la santé

LES DIX CHANTIERS

POUR REFONDER

LA SANTÉ PUBLIQUE

1 - Développer une culture de santé publique en France

 

2. Adapter le système de gouvernance et de financement de la santé publique aux enjeux

 

3. Faire évoluer les structures de santé publique

 

4. Doter la France d’un système de santé publique territorial adapté aux enjeux

 

5. Poursuivre l’investissement dans le numérique en santé pour renforcer les connaissances en santé, la pertinence des interventions et garantir la confidentialité des données

 

6. Renforcer la qualification des professionnels de santé publique

 

7. Développer une recherche en santé publique permettant à la France de jouer un rôle de premier plan en Europe et dans le monde

 

8. Renforcer le système d’expertise en santé publique et l’adapter aux situations de crise

 

9. Renforcer le système de veille et de sécurité sanitaire et impliquer la population

 

10. Inscrire la santé mondiale comme un objectif du système de santé publique française

 

PRÉAMBULE

  • Par commodité, nous utiliserons le terme de « rapport Chauvin » ou « Mission Chauvin » pour désigner le travail collectif de refondation de la santé publique, mené à la demande du ministre de la santé et coordonné par le Pr Chauvin, président du Haut conseil de santé publique. On trouve p. 58 du rapport la liste des personnes qui y ont directement contribuées, et de celles qui ont été auditionnées.
  • La mission Chauvin a bâti 40 propositions regroupées en dix grands chantiers (voir ci-contre). Dans le texte ci-dessous, chaque référence de type PXX désigne le numéro de la proposition dans le document.
  • Cinq propositions sont jugées prioritaires :

. Le plan d’amélioration du niveau de littératie en santé en France (P1)

. Le partage avec les citoyens de la politique de santé publique avec le vote par le parlement d’une loi pluriannuelle de programmation comprenant les objectifs de santé publique, un programme de recherche et le financement sous la forme d’un ONDAM (P3)

. La création de l’Institut français de Santé Publique et des Instituts Régionaux de Santé Publique (P8)

. Le développement d’une santé publique de territoire simplifiée, organisée et efficace associant les collectivités et les populations autour d’une ARS territoriale renforcée (P13...).

. Le renforcement de l’attractivité des métiers de la santé publique en proposant des formations rénovées, multidisciplinaires prenant en compte les priorités de santé (P26...).

  • Dans le présent rapport, aucune précision n’est donnée concernant le terme de « territoire ». Cela tient notamment au fait que notre organisation administrative en santé et que les découpages politiques sont extrêmement hétérogènes. Dans la plupart des cas, le territoire se confond avec le « département », les ARS ayant des délégations dans chacun d’entre eux. Mais il peut aussi correspondre à la fusion de deux départements (Collectivité européenne d’Alsace = Haut-Rhin et Bas-Rhin), à une partie d’un département (métropole lyonnaise), à une région (Corse), à un territoire de santé ne recouvrant pas les limites départementale.
  • La définition de la littératie retenue dans ce document fait référence à « la connaissance, la motivation et les compétences des individus à accéder, comprendre, évaluer et utiliser l’information de santé en vue de porter des jugements, de prendre des décisions dans la vie de tous les jours en ce qui concerne la santé, la prévention des maladies et la promotion de la santé, de manière à maintenir ou à améliorer sa qualité de vie tout au long de leur existence".

La santé publique est un combat

     "Le système de santé français, et particulièrement le système de soins, a largement contribué à l’amélioration de la santé de la population, mesurée par différents indicateurs, comme l’espérance de vie à la naissance. Ce système est cependant insuffisamment développé dans son versant santé publique avec pour conséquence des indicateurs de santé peu favorables en matière d’espérance de vie en bonne santé, de santé mentale ou encore d’inégalités sociales de santé. Ce déséquilibre entre les moyens consacrés aux soins et ceux consacrés à la prévention collective et plus largement, à la promotion de la santé dans toutes les politiques est source d’inefficience dans l’économie globale des dépenses de santé et dans les dépenses de soins en particulier." (page 2)

Le pari des "territoires"

      Cela s’appelle un mouvement de balancier ! Alors que la création des Agences régionales de santé a rassemblé au plan régional l’essentiel des prérogatives de pilotage de la santé dans les régions, depuis quelques années, le mouvement s’est inversé. Le rapport Chauvin surfe sur ce mouvement. Il conserve les ARS et leur positionnement régional tout en introduisant des propositions pour alléger certains dispositifs (le Projet régional de santé devient une feuille de route stratégique). L’accent est mis sur le renforcement de l’organisation « territoriale » de la santé, (10 propositions au total). Nous en avons retenu six qui illustrent cet objectif.

·        Renforcer les directions territoriales des ARS et nommer des directeurs territoriaux de la santé avec des objectifs de prévention et d’amélioration de la santé de la population définis dans les Pactes de santé territoriaux. (P17)

·        Mettre en œuvre des Pactes territoriaux (PaTS) donnant une cohérence, dans un cadre contractuel, aux différents dispositifs existants : projets de santé des structures d’exercice coordonnée (CPTS, MSP, ESP, centre de santé…), projet médical partagé des GHT, projet et contrat territorial de santé mentale, projets médicaux des services et établissements de santé et médico-sociaux, contrats locaux de santé… Pour bien comprendre le sens de cette proposition, il faut savoir que, sur le terrain, les dispositifs prévoyant la production de « projets de santé ou projets médicaux se sont multipliés au fil du temps, en général à la même échelle géographique. Il est temps de simplifier cette organisation peu lisible.

·        Créer dans chaque département une conférence des financeurs pour la santé publique animée par l’ARS et composée des institutions financeurs (CPAM, CARSAT, CAF, MSA, préfet, CD, DASEN) chargée de mettre en œuvre de façon partenariale et contractualisée le PaST.

·        Structurer à l’échelon territorial les acteurs de santé publique, sous la forme, par exemple, d’un service public de prévention, promotion de la santé, ou sous la forme d’une coopérative d’acteurs du secteur associatif permettant une lisibilité de l’offre de santé publique sur le terrain et le renforcement des capacités d’intervention (P13).

·        Faire évoluer les conseils territoriaux de santé en Parlements territoriaux en santé (P15). Dans de nombreux départements, les conseils territoriaux de santé ont une existence tout à fait symbolique. La mission Chauvin souhaite inverser la tendance et faire des échelons départementaux, les piliers de la démocratie sanitaire (au détriment du niveau régional).

·        Structurer une force d’intervention territoriale par la mobilisation des acteurs du soin sur des objectifs d’amélioration de la santé des populations dans une dynamique contractuelle. (P13)

L'adoption, tous les 5 ans, d'une loi de santé

      « La loi définit tous les cinq ans les objectifs de la politique de santé publique. À cette fin, le Gouvernement précise les principaux plans d'action qu'il entend mettre en œuvre… La mise en œuvre de cette loi et des programmes de santé qui précisent son application est suivie annuellement et évaluée tous les cinq ans... » (Art. L. 1411-2. Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique). La loi d’août 2004 a réintroduit le principe d’une « loi de santé » définissant pour cinq ans les objectifs de la politique de santé publique. Mais cette loi n’a pas été appliquée, sans que la représentation nationale ne s’en émeuve. 18 ans plus tard, le rapport Chauvin reprend cette idée.

       « La Stratégie nationale de santé (SNS) constitue une avancée mais ne fait pas l’objet de discussions à l’Assemblée nationale ni au Sénat. Seuls les aspects financiers sont discutés annuellement lors de la discussion du Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Une appropriation des objectifs et des actions à mettre en œuvre par les citoyens est pourtant essentielle à la priorisation des objectifs comprise par les élus et à la mise en place de comportements et d’environnements favorables à la santé.

          Une loi de programmation quinquennale de santé publique comprenant les objectifs à atteindre qui sont ceux définis dans une stratégie nationale de santé et les financements fléchés pour les atteindre est le moyen proposé pour permettre cette priorisation effective. La SNS doit permettre de passer à une logique combinant approche par les déterminants et approche par population, ce qui suppose notamment de rapprocher la santé publique de l’offre en santé et du secteur médico-social. »

La Conférence nationale de santé à la trappe

     Dès sa prise de fonction, le président de la république avait annoncé son souhait de « faire le ménage » parmi les nombreuses instances consultatives existantes au plan national. Le rapport Chauvin apporte des modifications sensibles dans l’architecture de la démocratie sanitaire aussi bien au niveau national que local.

      En matière de démocratie sanitaire, « La situation a progressé depuis près de vingt ans avec, la loi Kouchner du 4 mars 2002, la mise en place de la Conférence nationale de santé (CNS), des conférences régionales de santé et de l’autonomie (CRSA), l’agrément des associations et leur participation rendue obligatoire notamment dans les conseils de surveillance ou d’administration des établissements de santé et des agences… Néanmoins, la variabilité de la mobilisation et de l’implication des usagers et des élus au sein des instances et des processus de décisions de ces structures, invite à questionner ces dispositifs au niveau national et régional et à en tirer les conséquences en termes d’objectifs et d’organisation. » (rapport Chauvin)

     Au plan national, le Conseil économique social et environnemental (CESE) deviendrait le Conseil économique, social, environnemental et en santé publique (CESESP). Les compétences de la Conférence nationale de santé seraient réparties entre d’une part le CESESP et d’autre part une délégation interministérielle de la démocratie en santé à créer (P6).

     Au plan local, il n’est plus fait mention de la Conférence régionale de santé et d’autonomie (CRSA). En revanche, la légitimité des conseils territoriaux en santé est renforcée en devenant des « parlements territoriaux de santé ».

       De nombreuses critiques se sont élevées pendant la crise sanitaire, à propos de la place insuffisante accordée aux citoyens (et/ou aux instances qui les représentent) dans le processus de prise de décision. La CNS et certaines CRSA sont devenues des vraies tribunes d’opposition à la politique du gouvernement pendant la pandémie. Ces mesures visent-elles à faire taire ces oppositions ? 

L'immense chantier de la formation en santé publique

     Le chantier consacré à la formation en santé publique est le plus attendu par les professionnels de santé publique qui souhaitaient, comme les professionnels du soin, des avancées dans ce domaine.

      On retiendra bien sur la proposition 28 de créer « un statut unique pour toutes les professions médicales de santé publique : praticiens hospitaliers de santé publique, médecins scolaires, médecins de PMI, MISP, médecins du travail, médecin-conseils de l’assurance maladie ainsi que pharmaciens inspecteurs et conseils ». On imagine toutefois les obstacles administratifs à lever pour faire passer cette mesure… et la financer. Car les médecins de PMI et les MISP n’ont pas les rémunérations de leurs collèges hospitaliers. La création d’un « métier générique de santé publique », laisse dubitatif.

      La mission propose de créer une section universitaire en Santé Publique dédiée aux professions non médicales de façon à reconnaitre leurs compétences en santé publique et à développer un enseignement multidisciplinaire (P29).

     Des postes de professeurs des universités – praticiens de santé publique, de type hospitalo-universitaire avec une valence extrahospitalière (ARS, collectivités, administrations, ONG, assurance-maladie, etc.) seraient créés.

Un plan pour la littératie en santé

     La mise en œuvre d’un plan quinquennal de développement de la littératie en santé est la priorité n°1 de la mission Chauvin. La lutte contre la pandémie a mis une nouvelle fois en évidence les fortes inégalités de santé selon les groupes sociaux, les territoires, les groupes ethniques, et les difficultés pour une partie de la population à prendre en compte les messages préventifs, de vaccination… D'où la volonté de lancer un plan quinquennal de littératie en santé.

      Cette proposition reste cependant très imprécise, ne distinguant pas notamment, la formation initiale et la formation continue. Seule proposition réellement concrète, la mission Chauvin propose d’instaurer un brevet de santé publique pour les enfants en fin de premier cycle, (cf. éducation routière, natation, compétences numériques PIX, etc.).

Un "Institut français de santé publique", pour quoi faire ?

      Au fil du temps, un ministère de la santé-bis s’est constitué avec les nombreuses agences et organismes techniques qui contribuent à l’expertise en santé, tout en revendiquant leur autonomie par rapport à l’exécutif : Santé publique France, Institut national de lutte contre le cancer (Inca), ANSES (environnement), Agence du médicament (ANESM), Haute autorité de santé (HAS), Haut conseil de santé publique, Mildeca (addictions), OFDT, ATIH… L’effectif de ces agences et instances techniques est aujourd’hui beaucoup plus important que celui des directions du ministère de la santé. 

     Or, pendant la crise sanitaire, le gouvernement a été conduit à créer plusieurs instances supplémentaires pour piloter la réponse sanitaire, dans l’incapacité de s’appuyer sur une organisation de crise constituée à partir des agences existantes.

       « Le futur institut de santé publique » (IFSP) est décrit comme « un pôle fonctionnel » (?) dans le champ de la formation, de l’expertise, de la recherche, de l’anticipation et de la prospective. Il doit rassembler les agences nationales de santé et les instances œuvrant dans ces domaines, pour structurer l’expertise, développer l’innovation, la prospective et la modélisation et développer la recherche en santé publique. Il intègre en son sein un Institut public de la prospective et de la modélisation en santé.

      L’efficacité d’un tel modèle reste à démontrer. On n’imagine mal en effet ces différentes agences passées sous la « tutelle » d’un organisme de coordination, avec les risques bureaucratiques et de freins à l’innovation à la clé.

       La proposition P11 prévoit la création d'un conseil scientifique, au sein de l'IFSP, mobilisable en cas de crise.

      Il est également prévu de créer le pendant régional de l’IFSP, l’institut régional de santé publique. Les ARS vont-elles accepter la création, à leur côté d’une ARS-bis ? Les difficultés de coordination actuelles entre les ARS et leurs instances techniques, cellules de veille sanitaire (CIRE) et Observatoires régionaux de la santé (ORS) incitent à une grande prudence.

Conclusion

        Ce rapport très riche contient aussi des propositions pour renforcer le système de veille et de sécurité sanitaire en impliquant les populations et en essayant de réorienter ses missions dans une logique de santé globale (one health). La recherche en santé publique n’est pas oubliée non plus.

         On ne peut pas dire toutefois que ce document soit facile d'accès. Il ne s’agit pas seulement de mentionner l’absence de sommaire qui ne facilite pas la consultation. Mais, quand on prétend mettre au rang des priorités le développement de la littératie en santé, il est nécessaire de s’appliquer ce précepte à soi-même. Le texte aurait grandement gagné en compréhension si chaque chapitre avait été précédé d’éléments de constats, qui sont glissés parfois au milieu des préconisations, parfois dans le texte de présentation initial. 

      Par ailleurs, il faut souligner la faible place accordée aux acteurs de prévention qui agissent sur le terrain, avec le soutien des ARS et des collectivités, pour lutter contre les inégalités de santé et « aller vers » les personnes éloignées de la prévention. Cette question est rapidement évoquée dans la proposition P13 de création d’une coordination territoriale des acteurs, sans identifier les forces et les faiblesses de ce réseau.

      Autre sujet totalement absent de la réflexion : l’accès aux données de santé ! Des moyens importants sont mobilisés pour faciliter l’accès des chercheurs aux données de vie réelle (parcours de soins), croisées avec les données cliniques. Le Health data hub a été créé pour ça. En revanche, la question de l’accès du plus grand nombre aux données existantes n'est jamais prise en considération. De multiples initiatives sont pourtant prises avec des bases de données nationales (Score santé, Geodes, Atlas de santé mentale), des atlas régionaux, à l’initiative des ARS ou des Observatoires régionaux de santé, mais sans coordination, ce qui rend difficile les comparaisons et surtout la pédagogie autour de ces données. La déclinaison des PaTS pourrait permettre de prendre en compte ce besoin.

François Tuffreau

merci au Dr Alain Le Vigouroux pour sa contribution.

ANNEXES

Mission santé jeunes – pour une culture de la promotion de la santé chez les jeunes en France 

    En parallèle du rapport Chauvin, le ministre de la santé a demandé à A. Nyadanu, qui anime « Lowpital », un mouvement d’innovation collaborative pour améliorer l’expérience patient, et Pauline Martinot, médecin de santé publique, au titre de la mission concernant les messages de prévention à destination des jeunes (membres du groupe d’experts) de réfléchir « …à des voies et moyens innovants susceptibles d'installer de manière durable, au cœur de nos vies quotidiennes, ces mêmes priorités de santé publique. Il s'agit, sur la base de connaissances et de pratiques éprouvées de développer des techniques et dispositifs opérationnels de sensibilisation, de formation ou de mobilisation des populations prioritaires actionnables aux niveaux les plus pertinents de notre société et à tous les échelons du territoire. »

     Remis en même temps que le rapport Chauvin, ce document « Mission santé jeunes – pour une culture de la promotion de la santé chez les jeunes en France - comprend 10 propositions et 50 mesures, répondant aux besoins directement exprimés par des jeunes et des professionnels de terrain qui travaillent avec eux au quotidien. De nombreuses expériences ayant déjà fait leurs preuves localement ou à l’étranger sont également rapportées.


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