La place de la médecine générale dans le monde académique n’est plus contestée

Plus de 2 000 participants au congrès des enseignants de médecine générale, les 25-27 novembre dernier, à Nantes. Vincent Renard, professeur de médecine générale à Paris Est Créteil, et président du collège national des enseignants de médecine générale (CNGE) analyse avec nous les raisons du succès d’une telle manifestation. 

Plus de 2 000 participants, comment expliquez-vous une telle réussite ?

C’est une augmentation significative par rapport au congrès précédent, on dépasse la barre des 2 000 participants, dont un tiers d’internes environ. Toutes les catégories de participants augmentent, les généralistes en exercice, les internes en médecine générale, les maîtres de stage, les universitaires nommés… Une telle réussite s’explique par la qualité du travail de l’équipe d’organisation bien sûr ! Mais ce succès traduit surtout l’importance de plus en plus grande dans la profession de la composante académique.

Au sein des facultés de médecine, non seulement l’effectif des enseignants en médecine générale augmente, même si leur nombre n’est pas si important que ça en comparaison avec les autres spécialités, mais surtout ceux-ci gagnent en visibilité et en reconnaissance ; de plus en plus de juniors, d’internes ou de seniors et notamment de maîtres de stage s’aperçoivent que l’intérêt professionnel, la qualité, et l’excellence professionnelles sont des valeurs dans lesquelles ils se reconnaissent. Ils viennent au congrès retrouver ces valeurs avec leurs pairs car ils n’ont pas toujours de telles possibilités dans le monde professionnel comme dans le monde académique.

La place de l’enseignement de la médecine générale dans le monde académique n’est plus contestée ?

La bataille de la reconnaissance de la filière universitaire et de la composante académique dans la profession est gagnée : la nécessité d’organiser et de développer un enseignement de la médecine générale au sein de l’université n’est plus à démontrer. En revanche, ce qui n’est pas gagné dans le monde universitaire, compte-tenu de la spécificité et de la place des soins premiers* dans le système de soins, c’est de disposer de moyens adaptés à ce que nécessite la formation de 40 % des cohortes d’internes aujourd’hui et demain je l’espère 50 %, si l’on veut un système de santé cohérent et organisé.

A l’issue de la sixième année, et de l’examen classant national (ECN), vous avez 40 % d’internes qui vont être fléchés dans le Diplôme d’études spécialisées (DES) de médecine générale et 60 % dans les autres disciplines. Cette répartition est arrêtée annuellement conjointement par les ministères de la santé et de l’enseignement supérieur. Sous Marisol Touraine (ministre de la santé du quinquennat de François Hollande), il y avait beaucoup de postes non pourvus en médecine générale. Au sein de cette discipline, en l’absence de reconnaissance universitaire, vous aviez beaucoup de diplômés en médecine générale qui n’exerçaient pas la médecine générale et qui se destinaient à autre chose. Tous les diplômes d’études complémentaires d’urgentistes, de gériatres… étaient en effet pris sur le contingent de médecine générale. Il faut savoir que, parmi les 90 000 diplômés de médecine générale en France, moins de 60 000 exercent la médecine générale en première ligne (médecins libéraux, en centres de santé, en maisons de santé pluriprofessionnelle…). Ce qui signifie qu’entre un tiers et la moitié des médecins qualifiés en médecine générale n’exerce pas cette activité en cabinet. Pour l’essentiel ils exercent une autre activité hospitalière. Et jusqu’à présent tous ceux qui se destinaient à des activités en dehors du soin passaient par le DES de médecine générale. Aujourd’hui, les différentes spécialités ont chacune leur propre filière : les urgences comme la gériatrie ont leur propre cursus. Ceux qui arrivent aujourd’hui dans le DES de médecine générale ont donc plus de facilité à se projeter comme des futurs médecins généralistes. Il est maintenant possible de créer cette identité de généraliste, sachant que ce changement est très récent, deux ans seulement.

L’effet sur la démographie médicale est cependant très lent. Nous le disons clairement aux élus : vous n’avez rien fait pendant des décennies pour promouvoir la médecine générale, il ne faut donc pas s’étonner que la démographie pose problème aujourd’hui. Comme vous le savez, l’effectif des médecins qui exercent la médecine générale est inférieur aujourd’hui à son niveau de 1996 ! Cela fait quinze ans que l’on réclamait cette filiarisation et nous n’étions pas entendus par les différentes majorités politiques. Le réveil est un peu dur aujourd’hui pour de nombreux maires qui voient les médecins fermer leur cabinet sans être remplacés.

Notre vision du système de santé avec ses trois étages médicaux, premier recours, second recours pour les médecines de spécialités, et troisième recours pour l’hôpital est encore peu partagée. Les élites actuellement au pouvoir sont des héritières d’un modèle qui n’est pas celui-là. Quand vous êtes sociologiquement issu d’un modèle, vous avez tendance à le reproduire. Or les cabinets ministériels dans le champ de la santé ont toujours été occupés soit par des praticiens universitaires soit par des directeurs d’hôpitaux. La médecine générale n’y avait pas sa place.

Alors que la participation à ce congrès témoigne de la vigueur et du dynamisme de la médecine générale, comment expliquez-vous le fait que les médecins généralistes soient de moins en moins nombreux à exercer sur le terrain ? 

Effectivement, sur le plan macro-économique, la part des soins de généralistes au sein des dépenses de santé est en en recul.  C’est la conséquence directe des politiques de santé menées pendant des décennies. A partir du moment où le système de santé n’est pas structuré en étages de première ligne, de deuxième ligne, et de troisième ligne, il n’est pas étonnant qu’une partie importante des médecins formés se détournent de la médecine générale. Malgré les efforts, l’action publique se manifeste surtout par des annonces sans proposer une organisation structurée. Il ne suffit pas, comme le prévoit la loi, que les patients choisissent un médecin traitant, alors qu’ils peuvent en même temps consommer du soin secondaire ou tertiaire sans limite.  Dans le système de santé tel qu’il est aujourd’hui, et avec l’idée largement répandue que la solution des problèmes de santé quotidiens est dans le soin le plus technique possible, pourquoi s’adresser au généraliste, quand la porte des spécialistes et de l’hôpital est ouverte.

Un exemple : la dérive de l’augmentation continue du recours aux urgences. Ce n’est pas seulement la conséquence du fait que les gens ne trouvent pas de médecins. Cet afflux de patients aux urgences s’explique parce qu’ils s pensent spontanément que c’est là qu’il faut aller, parce qu’il y a le plateau technique, parce que c’est ouvert tout le temps, parce que le recours est plus facile, et puis parce que surtout, ils pourront avoir ce qu’ils veulent. Et les patients sont prêts à attendre pour avoir ce qu’ils veulent. Et personne ne leur explique que ce n’est pas comme ça que l’on s’organise dans un système de santé structuré. C’est ainsi qu’a émergé la proposition de loi du député Olivier Veran, qui  permet de rémunérer les services d’urgences pour qu’ils refusent d’admettre les patients, ce qui traduit quand même l’impasse dans laquelle nous nous trouvons. On comprend bien l’origine de cette mesure, mais l’on peut difficilement faire pire comme constat d’échec que d’allouer des ressources aux structures de soins pour ne pas prendre en charge les gens.

J’attends toujours la première campagne de santé publique pour expliquer aux français les différents étages du système de soins, la manière dont on prend en charge sa santé, et comment on utilise le système de santé de manière rationnelle et intelligente.

Cela n’explique pas la baisse du nombre de médecins qui exercent la médecine générale.

 Aujourd’hui, il y a 3 400 postes d’internes en médecine générale choisis par les étudiants en fin de 2ème cycle chaque année. Lors des débuts du DES en 2004, ils étaient moins de 2 000. Quand on réduit artificiellement le numérus clausus du nombre total des médecins, pour passer de 8 000 (dans les années 70) à 3 500 (dans les années 90) pour l’ensemble des spécialités vous payez la note 15 ans après. Quand vous avez à la fois une réduction de moitié du nombre de médecins formés et qu’en plus il n’y a aucune orientation pour que les étudiants choisissent la médecine générale, vous ajoutez ces deux constats, vous avez un trou démographique majeur, dont on vit les conséquences actuellement. Si en plus, vous montrez aux étudiants que décidément, la médecine générale n’est pas du tout un choix intéressant puisque vous avez 50 fois moins de chances de devenir chef de clinique si vous choisissez cette filière. Et si  on vous explique, que, pendant vos études de 2ème cycle, si vous n’êtes pas bon, vous finirez médecins généralistes dans la Creuse, et si pendant vos études vous avez en permanence le spectre de la coercition à l’installation qui est agité pour les médecins généralistes, mais pas pour les autres spécialités, il ne faut peut-être pas s’étonner qu’au bout du compte, les étudiants, se disent que ce n’est peut-être pas la voie à suivre.

La filière et la discipline universitaire ont réussi à inverser la tendance, et j’ai de grands espoirs dans la réforme d’il y a deux ans, à condition que le 3e cycle de médecine générale soit complété par une phase de consolidation comme dans les autres disciplines, avec une quatrième année professionnalisante visant à ancrer les jeunes dans leur territoire. Mais c’est une évolution très récente. Il y a 15 ans, dans les départements de médecine générale, le noyau des étudiants qui se destinaient vraiment à la médecine générale était extrêmement restreint. Aujourd’hui, ce noyau s’est considérablement élargi, grâce au travail des universitaires de médecine générale, et grâce aux réformes. Mais d’ici à ce que l’on en voit les conséquences en termes démographiques, il y a forcément un délai. La tendance s’inverse depuis peu mais ce n’est pas étonnant que l’on n’en récolte pas encore les fruits sur le terrain.

Etant donnée la situation particulièrement difficile de la démographie médicale dans certains territoires, une partie importante de la population ne comprend pas pourquoi les pouvoirs publics n’imposent pas aux praticiens de s’installer dans les zones mal pourvues.

Une des solutions que nous proposons pour faire face à cette situation est d’instaurer une quatrième année d’internat, comme pour les autres spécialités. En effet, on est dans un système dans lequel, au cours des deuxièmes et troisièmes cycles, les étudiants sont formés de manière ultra-majoritaires à l’hôpital. Ils ont donc un seul modèle de référence, le système hospitalier. Il y a quelques années, la moitié des médecins inscrits en médecine générale voulait entreprendre une autre activité de soins. Actuellement les comportements évoluent, mais beaucoup d’étudiants sont encore très souvent dans le projet de pratiquer un exercice mixte ville-hôpital. Puis ils changent d’avis après avoir fait le stage en médecine générale.

Dans l’organisation actuelle, il faut qu’en trois ans, DES le plus court parmi l’ensemble des spécialités, ils s’approprient un changement de paradigme complet. On passe d’une logique hospitalière à une logique de première ligne avec des patients, des situations de soins, des thérapeutiques, des parcours de santé, qui sont radicalement différents de ce qu’ils ont connu dans les deux premiers cycles. A contrario des autres disciplines pour lesquelles il y a plutôt continuité. Il faut qu’ils s’approprient ce changement de paradigme en trois ans tout en construisant un projet professionnel hors les murs de l’hôpital en ambulatoire dans un domaine que la plupart découvrent. Alors qu’un étudiant qui continue à exercer en milieu hospitalier après ses études connaît parfaitement bien l’univers dans lequel il a été formé. Les enquêtes nous montrent qu’environ la moitié des internes en MG ne sont pas prêts à s’installer au bout de leurs cursus ce qui amplifie les difficultés de la démographie que nous avons déjà évoquées. Quand on les évalue en termes de niveau de compétences on estime qu’ils ne sont pas « finis ». C’est normal qu’ils ne se sentent pas prêts parce qu’ils ne le sont pas. Le saut qualitatif pour les jeunes générations est pourtant considérable.

Prenons un autre exemple ! Quand vous formez un pilote d’avion, celui-ci ne se dit pas à l’issue de sa formation est-ce que je vais piloter des avions ? Est-ce que j’hésite à rentrer dans une compagnie pour piloter des avions ? Pour la médecine générale, en revanche, dans la plupart des cas, les étudiants ne sont pas prêts à s’installer. C’est un symptôme signifiant. Vous ne pouvez pas demander à des jeunes d’aller s’installer dans des territoires qu’ils ne connaissent pas. L’enjeu est double, à la fois de finir leur formation pour qu’ils atteignent un niveau de compétences jugé adéquat par rapport à ce que la société appelle de ses vœux, d’autre part s’ancrer dans les territoires dans lesquels ils sont censés exercer. Selon des travaux menés sur le continent nord-américain, et au Canada en particulier, les principaux leviers d’installation dans les territoires ne sont pas les incitations financières. C’est la formation dans les territoires où les futurs professionnels vont exercer qui est le principal déterminant.

En instaurant cette quatrième année, si demain la société bénéficie de l’apport de 3 400 internes supplémentaires en phase de consolidation pour apprendre leur métier dans une quatrième année professionnalisante, cela aura pour premier effet d’augmenter immédiatement l’offre de soins de premier recours. Par ailleurs, c’est une année de formation pour laquelle ils doivent être supervisés. Cette année de consolidation a pour but non seulement de parfaire leur formation mais d’augmenter la compétence « professionalisme », l’une des compétences de médecine générale enseignées au cours de la formation, qui consiste à intégrer les pratiques dans le cadre éthique, déontologique, réglementaire et socioéconomique exigé par la société. On attend aussi de cette année de consolidation que les futurs généralistes soient capables de contribuer à la recherche en recueillant des données et soient à même d’accueillir des externes immédiatement après leur cursus, pour les ancrer dans les territoires qui ont en ont besoin.

Le contenu et les objectifs de la formation en médecine générale ne sont pas toujours bien perçus.

La population a une haute estime du médecin généraliste mais a une faible compréhension du contenu de la spécialité. Prenons un exemple. Quand vous avez un patient avec des douleurs abdominales qui arrive dans un service hospitalier, il va bénéficier en général d’une coloscopie parce que la prévalence des cancers du colon chez les patients qui ont des douleurs abdominales dans un CHU est importante. En soins de première ligne, le pourcentage des gens qui viennent voir leur généraliste pour des douleurs abdominales et qui ont un cancer du colon est inférieur à 1 %. Cela signifie que le raisonnement, la démarche, les examens complémentaires que l’on va faire, qui dépendent de la prévalence de la maladie, sont différents. Le processus, les recommandations, les examens que l’on va pratiquer ne sont plus les mêmes scientifiquement parlant. Ça s’apprend. Si vous faites du soin tertiaire en premier recours, vous êtes dispendieux, vous faites exploser les coûts, vous êtes iatrogène, vous induisez plein d’effets indésirables en faisant des examens qui ne servent à rien et qui n’apportent rien au plan médical. Vous angoissez les patients, et vous ne les prenez pas bien en charge. C’est pour cela que l’on dit, en référence à la définition européenne de la médecine générale, que la MG est une discipline scientifique et académique avec un contenu propre, une recherche propre, une démarche propre, et avec des éléments de transmission qui lui sont propres.

Malgré l’importance des questions de souffrance psychique parmi les patients des MG, la psychiatrie ne fait pas partie des stages obligatoires pour les étudiants en DES de Médecine générale. Pourquoi ?

Les stages en psychiatrie n’ont aucune utilité parce que les patients hospitalisés en psychiatrie ne sont pas du tout les mêmes que ceux que nous voyons habituellement en médecine générale. Dans les services de psychiatrie, vous avez une majorité de patients psychotiques ou de malades psychiatriques graves. Au cours du congrès a été organisée une excellente plénière sur la psychothérapie en médecine générale avec le concours de Raphaël Gaillard, professeur de psychiatrie, qui partage notre analyse. L’enjeu de la formation des généralistes à la psychiatrie est d’organiser la collaboration avec les psychiatres. Mais trois ans c’est trop court pour une approche sur les psychothérapies en médecine générale, de manière à répondre à la demande de soins.

Les DMG semblent avoir pris avec retard le train de la coopération interprofessionnelle au sein des Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) !

Pas du tout ! On s’est beaucoup battu au contraire pour obtenir de manière réglementaire la possibilité d’établir des conventions entre les maisons de santé, et l’université pour aboutir au label de maisons de santé pluriprofessionnelles universitaires MSPU). Plusieurs MSPU ou CSPU sont déjà ouvertes et fonctionnent, et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) nous a demandé de recenser celles qui ont reçu un agrément. L’objectif est de construire de véritables pôles universitaires hors de l’hôpital, pour en faire les fers de lance de la recherche en médecine générale, afin notamment de recevoir des financements à l’instar des financements universitaires qui sont actuellement dirigés essentiellement vers les hôpitaux.

* soins premiers ou soins de premier recours


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