Le "Défi de janvier" gagné par les acteurs associatifs de la santé publique... malgré le désistement de l'État

Alors qu'une grande campagne de prévention de l'alcoolisation avait été annoncée par le Président de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), en juin 2019, ses principaux maîtres d’ouvrage institutionnels ont suspendu brutalement leur participation, sous la pression de l’exécutif et du lobby viticole. En réaction, les acteurs associatifs de santé publique se sont mobilisés pour que la campagne ne soit pas remise en cause.

En matière de santé publique, nos voisins britanniques ont développé des compétences dont nous ne disposons pas. Depuis plusieurs années, le Ministère de la santé et Santé publique France (SPF) se sont inspirés de leur savoir-faire pour entreprendre le « mois sans tabac », afin de convaincre nos concitoyens d’arrêter de fumer, à grand renfort de marketing social. Plusieurs centaines de milliers de personnes s’engagent ainsi chaque année pour atteindre cet objectif. Nouvel essai cette fois-ci avec l’alcool, et la promotion du « Dry january » ou « Défi de janvier » dans le but d’inciter nos concitoyens à infléchir leur consommation au lendemain des fêtes.

Alors que cette campagne avait été annoncée par le Président de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), Nicolas Prisse, en juin 2019, ses principaux maîtres d’ouvrage institutionnels ont suspendu brutalement leur participation, sous la pression de l’exécutif et du lobby viticole. En réaction, le 3 décembre, une trentaine d’associations, dont certaines (Ligue contre le cancer, France Assos…) n’étaient pas directement impliquées dans la prévention des addictions, ont publié un communiqué de presse pour demander une mise en œuvre effective de cette campagne. La Fédération addiction* et l’ANPAA* ont décidé alors de mener à bien malgré tout cette initiative avec l’aide d’un partenaire anglais « Alcohol Change UK », qui a mis à disposition ses supports adaptés au contexte français. On ne parle plus de « janvier à sec » (dry january) mais de « Défi de janvier », l’objectif d’abstinence n’étant pas réaliste pour notre pays. Il s’agit notamment de faire l’expérience d’une pause, en invitant chacun à s’engager avec ses objectifs propres à travers un enjeu individuel (je m’engage) et collectif (site internet, réseaux sociaux). « L’objectif est aussi d’installer durablement l’idée que l’on peut se retrouver entre amis sans que ceux qui ne prennent pas un verre d’alcool soient regardés de travers », indique Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération addiction. Ce type de campagne existe dans 14 pays avec des impacts très importants en termes de santé et de régulation des consommations.

Au 27 janvier 8 734 personnes étaient inscrites sur le site internet du défi de janvier. Lors du lancement de la campagne anglaise en 2013, 4 000 personnes avaient participé à l’initiative la première année. En 2019 elles étaient 4 millions, de quoi faire frémir le lobby viticole. Cette première campagne est aussi porteuse de nombreux signaux positifs : Santé publique France s’est engagée en effet à en assurer l’évaluation. Par ailleurs, la polémique qui est née autour de « l’interdiction » de la campagne a eu un formidable écho dans la presse et sur les réseaux sociaux. Les organisateurs peuvent se prévaloir d’avoir réussi ainsi à peser dans le débat public autour d’un enjeu majeur de la santé publique. La Fédération addiction est ainsi submergée de témoignages d’internautes voulant exprimer leur expérience souvent douloureuse vis-à-vis de l’alcool. Pari gagné pour les acteurs associatifs de la santé publique… malgré le désistement de l’Etat !

Pour en savoir plus : Comment le lobby de l’alcool sape toute prévention prônant l’abstinence, Pascale Santi, Stephane Horel, Le Monde, du 22 janvier

 

*Les intervenants en addictologie (prévention et lutte contre les différentes formes d’addiction, alcool, toxicomanie…) se regroupent en différentes organisations : Fédération française d’addictologie (FFA), Fédération addiction, née du regroupement des réseaux de centres d’alcoologie et de centres de lutte contre la toxicomanie, Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) qui emploie 1 500 professionnels avec des centres dans toute la France, Société française d’alcoologie (SFA) qui regroupe essentiellement des médecins et dispose d’une revue en ligne « alcoologie et addictologie »… 


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