Le virage préventif ?

« La stratégie nationale de santé présentée en décembre 2017… et l’instauration du service sanitaire témoignent d’un engagement significatif en faveur de la prévention et de la promotion de la santé et pourraient annoncer un réel virage de notre politique de santé publique ». Voilà ce qu’affirment Cyrille Isaac-Sibille (médecin, député du Rhône MODEM) et Ericka Bareights (députée de la Réunion, socialiste) dans la synthèse du rapport d’information relatif à la prévention santé en faveur de la jeunesse, remis à la commission des affaires sociales de l’assemblée nationale le 12 septembre dernier.

Ce rapport dresse tout d’abord un état des lieux des inégalités de santé et de l’organisation des actions de prévention en faveur de la jeunesse, largement partagé. Ensuite, les parlementaires se livrent à un exercice plus compliqué, en effectuant un certain nombre de propositions pour « faire décoller notre politique de prévention », afin de réduire les inégalités sociales et territoriales, et l’importance des maladies chroniques. Pour y parvenir, les auteurs retiennent trois principes : la promotion de la santé dès le plus jeune âge, une approche par déterminants plutôt que par pathologies, le décloisonnement des acteurs de la santé publique. Quatre axes d’intervention sont envisagés :

×           Une gouvernance renforcée

×           Des actions de prévention précoces et différenciées (l’équité plutôt que l’égalité)

×           La mise à disposition de données de santé

×           Le financement.

D’emblée, la question de la gouvernance est posée ! Y-a-t-il un pilote dans l’avion en matière de prévention. Aujourd’hui, il n’y en a pas, et pour une raison simple. Dans la mesure où les déterminants de la santé sont multiples et touchent aussi bien au système de soins qu’à notre cadre de vie, l’environnement ou nos conditions de travail, la promotion de la santé touche… tous les champs d’action publique. Les députés proposent donc de confier le pilotage de la politique de  prévention à une délégation interministérielle. Sur un plan plus opérationnel, ces questions sont principalement portées au ministère chargé de la santé par la Direction générale de la santé (DGS) et par l’agence Santé publique France (SPF), qui a intégré en 2016 l’Institut national en éducation et promotion de la santé (INPES). Aujourd’hui, les équipes travaillant au sein de SPF sur la prévention sont peu étoffées : environ 70 agents alors que son homologue britannique en compte environ 240, dont une direction dédiée au marketing social comptant 98 agents. Situation d’autant plus difficile que les rééquilibrages budgétaires de ces dernières années ont conduit à de nombreuses suppressions de postes au sein de l’agence. Au niveau régional, les ARS sont aujourd’hui bien identifiées pour porter ces politiques, même si elles ne sont pas les seules administrations concernées, avec un réseau en pointe sur ces questions, celui des IREPS (instances régionales en éducation et promotion de la santé), financés principalement par le Fonds d’intervention régional (FIR).

Les parlementaires le rappellent : la prévention institutionnelle auprès de la jeunesse est incarnée par deux grands services publics, rattaché l’un aux Conseils départementaux, la Protection maternelle et infantile (PMI) et l’autre aux rectorats, la santé scolaire. Faut-il rapprocher ces deux services comme le suggère le rapport alors que, sur le terrain, les moyens sont disparates, bien en deçà des normes requises qui ne permettent pas de respecter les obligations légales en matière de suivi de santé des enfants. Par ailleurs, les actions de dépistage menées par ces services continuent-elles à avoir la même pertinence, maintenant que la population dispose en France d’une couverture médicale généralisée ?

« Les actions de prévention générales, sans ciblage, conduisent à accroître les inégalités sociales de santé et sont associées à un risque de saupoudrage des moyens, cela revient à arroser là où la terre est déjà mouillée ». Effectivement, les politiques de prévention sont aujourd’hui parfois remises en cause dans la mesure où certains auteurs considèrent que, par exemple en matière de nutrition, les grandes campagnes menées dans ce domaine ont, d’une certaine façon contribué à accentuer les inégalités de santé. D’où la nécessité d’une approche plus ciblée en direction des populations les plus concernées. Plusieurs propositions viennent renforcer cet axe d’action : améliorer le niveau de littératie des enfants et mettre l’accent sur les compétences psychosociales, identifier les actions probantes en prévention, renforcer le suivi individuel et afin agir sur les déterminants environnementaux concernant en particulier l’accès à l’alcool, la publicité à destination des enfants, et l’environnement général des populations.

Les auteurs du rapport appellent de leurs vœux la construction d’un portail national des interventions évaluées de prévention, un groupe de travail étant saisi de ces questions au sein de Santé Publique France. Reste la question des financements : parler de la prévention, c’est bien. Se donner les moyens pour que cette politique se décline à travers des engagements financiers précis, c’est encore mieux.

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