Un campus santé en centre ville

La construction d’un campus santé de 10 hectares, en plein centre-ville, qui devrait ouvrir en 2026, va permettre de rassembler sur un seul site le CHU, les facultés de santé et les centres de formation aux métiers de la santé, et les organismes de recherche. Le Pr Antoine Magnan, président de la Commission médicale d’établissement (CME) du CHU de Nantes, et président du Comité national de coordination de la recherche (CNCR), nous livre ses réflexions sur les projets hospitaliers et universitaires nantais, et sur le plan Ma Santé 2022.

Quand ouvrira le nouveau CHU de Nantes ?

Pr Antoine Magnan - Les travaux de gros œuvre devraient débuter en 2020, les appels d’offres étant en préparation, pour une ouverture programmée en 2026. C’est un immense chantier de 10 ha, avec 225 000 m2 de surface de plancher. Les deux hôpitaux de court séjour (médecine, chirurgie, obstétrique), aujourd’hui éloignés de 10 kms vont être rassemblés sur un seul site, en centre-ville, avec tout le bénéfice que l’on peut en attendre. C’est le réaménagement complet de l’île de Nantes, autrefois occupée par des activités portuaires et industrielles et par le Marché d’intérêt national (Min) qui va déménager dans quelques mois, qui offrent cette opportunité. C’est une situation relativement inédite, pour une métropole de 650 000 habitants de mettre à disposition de la population un hôpital neuf de 1 400 lits. Le nouveau CHU sera composé d’une dizaine de bâtiments distincts de 4-5 niveaux, autour d’un pôle central qui rassemble les blocs opératoires, et l’imagerie. Les unités d’hospitalisation seront situées en bord de Loire, autour des cinq grands pôles d’activité clinique : médecine, thorax (cardiologie, pneumologie…), hématologie/dermatologie, orthopédie-traumatologie, et mère-enfant. Il sera intégré dans un véritable campus santé qui rassemblera les facultés de médecine et d’odontologie, l’Institut de soins infirmiers et les autres centres de formation aux métiers de santé, et les instituts de recherche avec un bâtiment qui vient déjà de s’ouvrir. Un tel campus en centre ville est une incroyable opportunité pour les patients, les médecins qui seront à proximité de leurs lieux de soins mais aussi de recherche et d’enseignement et bien sûr pour les étudiants.

Plus généralement, nous allons offrir aux nantais et aux habitants de Loire-Atlantique et de la région un équipement de santé de grande qualité sur le plan de l’hôtellerie (uniquement des chambres à un lit), avec, pour les patients qui restent plusieurs jours à l’hôpital, des possibilités de déplacement dans un cadre paysager et urbain, le nouvel hôpital étant situé sur les bords de Loire. 

FIL SANTÉ # - Le nouveau CHU de Nantes doit ouvrir avec une réduction des capacités totales d’hospitalisation, avec moins de 1 400 places à l’ouverture contre plus de 1 600 aujourd’hui : 64 % des séjours auront lieu en ambulatoire. Est-ce réaliste alors que l’effectif de la population de la métropole nantaise augmente de 1% par an, et vieillit ?

Pr Antoine Magnan - Oui bien sûr, c’est un pari, mais nous sommes déjà à plus de 50 % de séjours en ambulatoire et dans les 10 années à venir, les modes de prise en charge vont continuer à évoluer en profondeur. On n’est pas au bout en matière de déploiement de la chirurgie ambulatoire et de l’hospitalisation de jour. La chirurgie est de moins en moins invasive et la restauration de l’autonomie du patient est plus rapide. C’est plus compliqué dans les services de médecine mais le mouvement est bien engagé.

FIL SANTÉ # - Le nouveau CHU, c’est environ un milliard d’euros de travaux. Que répondez-vous à ceux qui considèrent que l’on privilégie les équipements de la ville centre au détriment de la périphérie ? 

Pr Antoine Magnan - Prenez le principal site actuel, l’Hôtel-Dieu, il est clair que les locaux actuels sont vétustes et ne sont pas adaptés aux nouvelles prises en charge, aussi bien sur le plan de l’hôtellerie que de l’organisation des différents flux de patients, imageries, consultations, unités d’hospitalisations… Il est indispensable de reconstruire l’hôpital conçu dans les années 1960. Mais surtout, le projet hospitalier du CHU est, dès à présent, tourné vers l’extérieur, au sein du Groupement hospitalier de territoire (GHT) 44, instance de coordination des établissements publics de santé (EPS) de Loire-Atlantique. Très concrètement, depuis deux ans, des urgentistes du CHU, des pneumologues, des cardiologues, des obstétriciens vont travailler à Châteaubriant, Ancenis, ou Saint-Nazaire. Autre exemple, l’IRM de Châteaubriant fonctionne en lien direct avec les radiologues du CHU de Nantes. Bien sûr, il y avait beaucoup d’appréhension au début, au moment de la constitution du GHT, avec plus ou moins la crainte des autres hôpitaux d’être « absorbés » par le CHU. En réalité tout le monde s’y retrouve, aussi bien les praticiens eux-mêmes que les services qui les accueillent. Nous préparons le CHU de demain avec moins de patients hospitalisés au CHU car ils pourront être pris en charge par les hôpitaux de proximité, en lien avec le CHU. La e-santé ouvre des perspectives considérables pour prendre en charge les patients à distance, au plus près de leur domicile.

FIL SANTÉ # - Vous faites du virage numérique une de vos priorités. Mais la traçabilité des actes et des prescriptions ne se traduit-elle pas par une surcharge administrative, et une augmentation du temps passé à la saisie de données… au détriment du temps consacré aux patients.

Pr Antoine Magnan – Tout le monde mesure l’impact considérable du numérique dans notre vie quotidienne et, plus généralement, dans l’organisation du travail. À l’hôpital, cette mutation est en cours, et est loin d’être achevée. Nous avons déployé le nouveau système d’information du CHU dans 75 % des services : c’est un travail lent, qui demande à chaque fois un temps de préparation important. Bien sur c’est un changement de culture, mais la traçabilité des actes et des prescriptions est une nécessité pour tous, et le dossier numérique est à terme un gage de qualité des prises en charge. Ce n’est pas seulement une obligation réglementaire : il y va de la sécurité du patient. Les personnels infirmiers y trouvent leur compte dans la mesure où ils peuvent accéder à une information médicale partagée au sein de l’équipe soignante. Mais vous avez aussi raison de souligner l’impact non négligeable en termes de temps passé aux tâches de saisie de données. 

FIL SANTÉ # - La plupart des échanges entre le CHU et l’extérieur, médecins traitants ou de spécialité, laboratoires de biologie ou d’anatomo-pathologie, imagerie s’effectuent toujours par courrier, et les messageries sécurisées ne sont pas véritablement utilisées.

Pr Antoine Magnan – La priorité du CHU est d’accompagner le déploiement numérique à l’intérieur de l’hôpital. Notre deuxième priorité, c’est la construction de solutions informatiques partagées avec les 13 sites réunis au sein du Groupement hospitalier de territoire 44 (GHT) pour l’imagerie, les dossiers patients (même si tous les hôpitaux n’ont pas le même outil), et la messagerie sécurisée. Effectivement, l’interopérabilité entre les outils hospitaliers et ceux des praticiens en ville n’est pas encore effective mais je crois que, après des années pendant lesquelles tout le monde a eu le sentiment de piétiner, ces problèmes vont trouver des solutions dans un avenir proche. Ainsi, nous serons prêts pour le déploiement du dossier médical partagé qui va venir très bientôt percuter nos pratiques.

FIL SANTÉ # - Dans un rapport qui accompagne la présentation de la stratégie de transformation du système de santé, on retrouve certains qualificatifs comme « gâchis », « désordre », « lourdeur », « souffrance »… à propos de la perception par les agents hospitaliers de la situation actuelle de l’hôpital public. Est-ce que vous partagez ce constat ?

Pr Antoine Magnan – On ne peut pas nier les difficultés que rencontre l’hôpital public, et qui sont plus ou moins accentuées selon les sites et selon les services. En tant que président de Commission médicale d’établissement, je suis confronté à ces questions ce qui m’amène à apporter mon soutien à des collègues qui se trouvent parfois en difficulté pour faire face aux obligations qui sont les leurs, mener leurs projets, trouver les marges de manœuvre. Ce que je dis aux collègues en tant que président de CME : prenons notre avenir en main, et arrêtons d’attendre de l’administration ou des pouvoirs publics une énième réforme qui serait censée résoudre tous nos problèmes. L’hôpital public, c’est un formidable outil. Nous accueillons toutes les populations, et en tant que pneumologue, je sais de quoi je parle. Toutes les spécialités médicales sont prises en charge à l’hôpital. Le CHU de Nantes, c’est l’accompagnement d’un millier d’étudiants et de 500 internes. C’est aussi la recherche, en plein développement à Nantes. 953 millions d’euros vont être mis sur la table pour construire le nouvel hôpital : ce n’est pas rien. Cette opération est une formidable opportunité pour faire bouger les lignes ensemble. 

FIL SANTÉ # -Le rapport MA SANTE 2022 met l’accent sur la nécessité de renforcer les compétences managériales des cadres de santé et des médecins. Est-ce « la » solution ?

 Pr Antoine Magnan - Je crois beaucoup en effet à la nécessité de former les praticiens qui prennent une chefferie de service ou les cadres de santé à la gestion des ressources humaines. Cela ne résout pas tous les problèmes, mais c’est tout simplement indispensable, et nous le faisons déjà au CHU depuis plusieurs années en partenariat avec l’école des Mines notamment. Je dis souvent que dans les hôpitaux universitaires, on a abandonné le mandarinat ce qui est certainement une très bonne chose, mais on l’a remplacé par rien. Comme je viens de le souligner, il est nécessaire de renforcer l’unité médicale la plus proche des soignants, le service hospitalier. Je suis pneumologue, et le service que j’ai dirigé pendant plusieurs années est maintenant rattaché au Pôle « Institut du thorax et du système nerveux » qui rassemble la cardiologie et ses unités interventionnelles, la pneumologie, la neurologie, la chirurgie vasculaire… La référence des soignants et des praticiens, c’est d’abord la spécialité médicale qui fonde leur expertise, même si, pour des nécessités de gestion, il faut également disposer d’un cadre plus large qui est celui du pôle.

 

FIL SANTÉ # - La loi HPST a remis en cause les pouvoirs de la commission médicale d’établissement (CME) qui a perdu une partie de ses prérogatives. Le plan MASANTE 2002 envisage de faire machine arrière !

Pr Antoine Magnan - Si l’on prend l’exemple nantais, le directeur général du CHU, Philippe Sudreau et moi-même sommes très attachés à une vraie gouvernance médico-administrative, à s’exprimer ensemble le plus possible, à avoir des prises de parole communes, bref à constituer un véritable attelage. Cet attelage nous permet d’associer réellement le corps médical à la décision au travers de ses projets. Rappelons que le CHU de Nantes, c’est plus de 12 000 salariés et presque un millier de médecins. On ne peut évidemment pas diriger un établissement hospitalier sans prendre en compte l’avis des médecins et les associer. Actuellement, la Commission médicale d’établissement est une instance importante parce que c’est un lieu de discussion et de partage. Si l’on veut que les praticiens soient parties prenantes des transformations de l’hôpital il faut savoir les impliquer dans les processus de décision. Il faut rapprocher les centres de décision des soignants. Le directeur général et moi-même faisons tout pour créer les conditions de cette dynamique collective. 

FIL SANTÉ # - Les annonces gouvernementales du mois de septembre ont été retardées pour les CHU, afin de tenir compte du grand rendez-vous des assises hospitalières universitaires qui vont fêter au mois de décembre les 60 ans des CHU, et la création du statut hospitalo-universitaire en 1958.

Pr Antoine Magnan - Ces assises réunissent chaque année les directeurs généraux des 32 CHU, les présidents de commissions médicales d’établissement (CME), et les doyens des facultés de Médecine, de Pharmacie et d’Odontologie. C’est un formidable moment d’échange pour le renouveau des CHU que nous préparons tous ensemble. Cette année, c’est un peu exceptionnel avec les 16èmes Assises Nationales Hospitalo-Universitaires qui se tiendront les 12 et 13 décembre 2018 à Poitiers (86) et qui marqueront l’anniversaire de la constitution des CHU. Les présidents d’université seront présents, et le rapport de la mission que nous a confiée les ministres de la santé et des solidarités et de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation concernant l’avenir des CHU sera remis. Des annonces gouvernementales en sont attendues pour réaffirmer la spécificité des CHU et leur ancrage à l’université. Mais il faut attendre en effet le mois de décembre pour en savoir plus.

 

FIL SANTÉ # - Vous présidez le Comité national de coordination de la recherche (CNCR) depuis 2016. Quelles sont les missions de cette instance ?

Pr Antoine Magnan – Le CNCR, de création relativement récente (2005, et devenu en 2011 un groupement de coopération sanitaire), est apparu comme une nécessité pour les hôpitaux universitaires, de manière à disposer d’une représentation des EPS face aux pouvoirs publics dans les domaines de la réglementation de la recherche en santé, de son financement et de son évaluation. Le CNCR a été fondé sous l’égide des directeurs généraux de CHU, des présidents de CME et des doyens de médecine. La recherche clinique s’effectue, par définition, dans les services hospitaliers, au plus près de la prise en charge des patients. Cela soulève des questions éthiques, de consentement des patients, de confidentialité des données, de pratiques commerciales pour la diffusion des brevets, de relations avec l’industrie pharmaceutique qui met au point les médicaments issus de ces travaux… autant de questions que les équipes de recherche ne peuvent porter seules. Le CNCR est là pour donner un peu plus de fluidité dans tous ces échanges et porter l’étendard de la recherche des EPS au niveau gouvernemental et européen.

 

FIL SANTÉ # - L’Université de Nantes, l’École Centrale de Nantes, le CHU de Nantes et l’Inserm, ont porté ensemble le projet NExT (pour Nantes Excellence Trajectory), qui a reçu le label I-SITE des investissements d’avenir. Où en est la mise en œuvre ?

Pr Antoine Magnan – Un peu d’histoire tout d’abord - car le chemin a été long - pour rappeler que le Programme Investissements d’Avenir (PIA) a été initié en 2010 (PIA 1) puis en 2013 (PIA 2), puis en 2016 (PIA3) suite au rapport sur le « Grand Emprunt » remis en 2009 par une commission d’experts académiques et du monde de l’entreprise. L’objectif du label I-SITE du PIA était de sélectionner des équipes universitaires ayant une visibilité internationale, afin de leur donner des moyens significatifs pour leur permettre de faire jeu égal avec leurs homologues étrangers, et d’attirer des chercheurs et des enseignants-chercheurs de renommée internationale. Plusieurs appels d’offres ont été lancés et l’Université de Nantes a répondu à travers le projet NExT qui a été sélectionné à son tour en 2017, porté par son président, Olivier Laboux. Ce projet repose sur deux piliers thématiques qui sont la médecine du futur et l’ingénierie du futur. C’est le seul en France dans lequel un CHU est membre fondateur, ce dont nous sommes très fier, et ce qui renforce notre ancrage à l’université. 

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