Les médecins généralistes face au défi de la précarité

Cet ouvrage de Caroline De Pauw (Presses de l'EHESP) rend compte du travail original d'une sociologue qui est aussi directrice de la section Médecins de l’Union Régionale de Professions de santé (URPS) des Hauts de France. Cette double position lui a certainement facilité l’accès au rare privilège d'ouvrir la boite noire de la consultation médicale, ce fameux colloque pas si singulier entre un médecin et son patient. On y trouvera de nombreuses informations inédites et parfois inattendues. L'objectif de l'auteure était de comprendre comment la consultation de médecine générale agit sur les inégalités sociales de santé (ISS). Celles-ci trouvent leurs déterminants essentiels en dehors du système de santé (éducation, niveau de revenu) mais les médecins généralistes qui sont au plus près de l'émergence des besoins et demandes de soin, en tiennent-ils compte, et comment, dans leur pratique ?

Pour répondre à cette question l'enquête par méthode qualitative, qui est décrite, ne permet pas de savoir si la pratique des généralistes aggrave ou réduit les ISS, mais elle ouvre à la compréhension des logiques d'action des praticiens face aux patients en situation de précarité. Après une analyse critique des politiques publiques d'accès aux soins, l'ouvrage relate l'enquête de type ethnographique qui a été menée par immersion dans la salle d’attente et la consultation de huit médecins généralistes exerçant seuls ou en groupe. L'auteure a pu ainsi observer pendant 10 mois 698 consultations et 879 "attentes".

 

Le principal constat porte sur la mise en difficulté des médecins généralistes (en tout cas ceux de l'échantillon tous âgés de plus de plus de 45 ans). Ni leur formation, ni leur culture professionnelle ne les prépare à prendre en charge des patients et des familles qui cumulent les problèmes de revenu, de santé, d'emploi, de logement et ce que l'auteure appelle la « méculture » de santé. L'influence du social sur le soin n'est pas une donnée d'évidence pour la plupart des médecins observés.

La norme professionnelle à laquelle ils adhèrent les conduit à se persuader que leur pratique est la même quelle que soit l'appartenance sociale du patient. Et le suivi au long cours induit chez les praticiens la conviction qu'ils connaissent les conditions de vie des patients. Mais les données objectives à ce sujet ne figurent que rarement dans les dossiers (couverture maladie complémentaire, profession, niveau de revenu, situation familiale) car considérées comme non pertinentes pour le soin ou leur recueil trop intrusif.

 

Les observations ont permis d'écorner deux "mythes" : celui du médecin débordé - que l'auteure attribue à une norme  professionnelle implicite de suractivité - et celui de la neutralité bienveillante avec laquelle les praticiens sont censés agir. Celle-ci est revendiquée mais les constats in vivo ont permis de mettre en évidence des pratiques très différenciées.

Plus que le fait d'exercer en quartier favorisé ou non, ou que les caractéristiques sociologiques de la patientèle, c'est le mode relationnel adopté par chacun des médecins observés qui s'est révélé le principal déterminant du type d'accueil et de pratiques face aux patients en situation de précarité. Quatre modalités relationnelles ont été retenues : informative et neutre, paternaliste et directive, interprétative c'est à dire compréhensive et non directive, et délibérative faite de dialogue pour une décision partagée. Les praticiens "délibératifs", plus soucieux de permettre aux patients précaires de prendre part aux décisions les concernant, semblent les plus à même de contribuer à la réduction des ISS.

Dans presque tous les cas les relations avec les professionnels du secteur social étaient quasi absentes. La confiance suscitée par l'enquêtrice a permis d'observer des écarts avec les pratiques prescrites, parfois à la limite de la légalité notamment pour le paiement de la consultation, sujet sensible dans les situations de précarité.

L'ouvrage confirme les données d'autres enquêtes montrant que, lors des consultations concernant les patients bénéficiant de la CMU, les examens, les prescriptions, les conseils sont moins nombreux et que la distance sociale entre médecin et patient précaire produit incompréhensions et malentendu aggravant les ISS*.

Les préconisations de C. De Pauw pour que les MG deviennent des opérateurs d'égalité sociale de santé passent par la remise en cause du paiement à l'acte, et l'abandon de l'accent mis sur l'approche individualiste qui fait de chacun le gestionnaire de son capital santé. Elle propose de développer une prise en charge de la santé des personnes précaires comme bien collectif à laquelle chaque médecin, mieux formé au mode relationnel délibératif, aurait sa part.

 

En 2014, une recommandation officielle du Collège de Médecine Générale a imposé de noter dans le dossier des patients, outre les données d'état civil, la profession et le statut par rapport à l'emploi ainsi que le type de couverture sociale et les capacités de compréhension du langage écrit. Et l'enseignement actuel de la médecine générale s'appuie maintenant sur la notion d'approche centrée sur le patient. Ce sont peut-être des débuts de réponse à l'ouvrage de C. De Pauw.

Les médecins généralistes face au défi de la précarité

Caroline De Pauw, Docteure en sociologie, directrice de l’URPS (Union régionale des professionnels de santé) Médecins des Hauts-de-France et chercheure associée au CLERSE (Centre Lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques).

Presses de l'EHESP, septembre 2017, 228 pages 

  * https://www.exercer.fr/numero/114/page/194/

 


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