Le service sanitaire à la recherche de compétences en prévention

Promesse du candidat Macron, le service sanitaire se déploie progressivement depuis la rentrée dans six filières de santé. Objectif, introduire une courte formation aux concepts de base de la prévention dans chacune des filières, puis inciter les étudiants à se lancer dans actions d'éducation à la santé… De manière générale, la mobilisation est forte, mais les responsables des différents cursus sont confrontés à un manque relatif de compétences internes en matière de prévention.

48 000 étudiants concernés dès cette année

Notre système de santé a toujours accordé une place secondaire aux questions de prévention et ne s’est jamais donné les moyens de mettre en place une organisation efficace dans ce domaine. Certes, de multiples programmes de prévention sont engagés sur le terrain, mais la mauvaise situation de la France en matière de mortalité prématurée (décès avant 65 ans) et les fortes inégalités de santé qui y règnent témoignent de la prise en compte insuffisante de ces questions dans l’organisation sanitaire et les pratiques des professionnels.

Dans ce contexte, former tous les étudiants en santé, quelle que soit leur filière, à la prévention primaire, avant de les envoyer sur le terrain pendant leurs études mener des actions d'éducation à la santé dans les écoles primaires, les collèges, les lycées, les Ehpad ou les entreprises est donc, en soi, une petite révolution. Pour initier ce chantier, les deux ministres concernées, le Pr Agnès Buzyn pour la santé, et Mme Frédérique Vidal pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation ont choisi un dermatologue du CHU de Tours, le Pr Loïc Vaillant, spécialiste des méthodes de surveillance du mélanome par ultra-sons.

Le service sanitaire n’arrive cependant pas sur un terrain vierge. Le Pr Vaillant, dans son rapport préalable publié en janvier, fait état de différentes actions de prévention conduites un peu partout en France par des étudiants en santé des différentes filières, et notamment à Angers, qui a été d’une certaine façon l’un des laboratoires expérimentaux de ce projet. Dans plusieurs sites universitaires, le rapprochement des facultés de médecine, pharmacie, maïeutique, instituts de soins infirmiers… au sein de facultés de santé est une réalité. Mais conduire des actions d'éducation à la santé sur la base du volontariat est une chose ; rendre obligatoire et organiser la participation au service sanitaire pour tous les étudiants et l’ensemble des filières de santé représente un tout autre défi.

Suite au rapport Vaillant, le cadre général du service sanitaire a été précisé par un arrêté et un décret parus en juin. Toutes les filières de santé sont concernées soit environ 50 000 étudiants. Pour l’année universitaire 2018-2019 six filières prioritaires représentant 94 % des effectifs totaux ont été choisies : infirmiers, chirurgiens-dentistes, maïeutique, kinésithérapie, pharmacie, et médecine. Les autres (orthophonistes, orthoptistes, ergothérapeutes…) démarreront leur service sanitaire à la rentrée 2019. Le service sanitaire représente en tout trois mois à mi-temps ou six semaines à temps plein, ou 60 demi-journées, selon l'organisation retenue, dont la moitié consacrée aux actions sur le terrain, en contact avec les publics.

L’arrêté ministériel a retenu quatre thèmes prioritaires - la nutrition, l’activité physique, la lutte contre les addictions (alcool, tabac, cannabis et autres drogues) et l’éducation à la sexualité intégrant la prévention des infections sexuellement transmissibles (IST) et la contraception –. Mais ces priorités peuvent s’adapter aux nécessités du territoire… et aux capacités des acteurs concernés, aussi bien en termes de délivrance de la formation que de lieux d’interventions.

Le service sanitaire comporte un volet formation, et un volet action/intervention. L’objectif est, dans un premier temps, de former les étudiants aux concepts généraux de la prévention et de la promotion en santé, autour des quatre problématiques retenues, et aux techniques d’intervention en groupe. Les étudiants doivent ensuite construire un projet d’actions auprès de différents publics, en milieu scolaire, en Ehpad… avec deux mots-clés : inter professionnalité et pluridisciplinarité. Comme n’importe quel module de formation, la participation au Service sanitaire fait l’objet d’une évaluation.

 

Un pilotage largement déconcentré

Un comité national de pilotage et de suivi a été constitué, sous la tutelle des deux ministères, l’enseignement supérieur et la santé pour accompagner la mise en œuvre du service sanitaire. Mais le pilotage est en réalité largement déconcentré, chaque région étant chargée de constituer un comité stratégique régional, réunissant les acteurs concernés, coprésidé par le directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) et le recteur. Des comités plus opérationnels ont été institués à l’échelle de mise en œuvre, à savoir une trentaine de sites correspondant plus ou moins à l’aire des facultés de médecine (avec des regroupements dans les villes qui disposent de plusieurs facultés de médecine : Lille, Lyon, Toulouse, et Paris).

 

Sur le terrain, les difficultés ne manquent pas

Chaque filière est en effet chargée d’inscrire les 60 demi-journées prévues dans les maquettes, sans alourdir le temps de formation. Il faut donc faire de la place et organiser les deux volets… à la place d’autres modules ! Les maquettes étant déterminées des mois à l’avance et les principes généraux du service sanitaire ayant été connus précisément avant l’été, les différentes filières ont dû s’adapter pour proposer dès cette année les prémisses du service sanitaire.

Par ailleurs, les objectifs de la formation étant extrêmement ambitieux et la plupart des facultés de santé ne disposant pas de compétences internes en matière d’éducation à la santé, les responsables des différents cursus se sont tournés vers des partenaires extérieurs, qu’il faut parfois rémunérer. Le premier réseau sollicité est celui des IREPS* (instances régionales d’éducation et de promotion de la santé). A Grenoble, les responsables du service sanitaire font également intervenir des formateurs de la Maison des sciences de l’homme (MSH).

A Lyon, les premières formations vont démarrer en janvier 2019. Pour Cyrille Colin, professeur de santé publique au CHU de Lyon, qui coordonne la mise en place du service sanitaire sur le site lyonnais « Le service sanitaire qui concerne cette année 1 300 étudiants en soins infirmiers et 930 étudiants dans les autres filières, c’est un effectif à peu près équivalent à celui de la première année des facultés de santé (PACES), soit 2 500 étudiants. Or, nous savons nous organiser pour prendre en charge des effectifs étudiants importants. Avec l’aide de l’IREPS, nous avons formé en 10 sessions de deux jours 130 formateurs pour les préparer à intervenir auprès des étudiants et nous avions trop de candidats. Pour les travaux dirigés, nous avons été en mesure de constituer 16 groupes de 24 étudiants, avec à chaque fois deux intervenants. Pour le moment, le seul problème qui n’est pas résolu est celui des modalités pratiques de versement du forfait déplacement aux étudiants (130 €) ». Un point essentiel du service sanitaire est de contribuer « à la réduction des inégalités sociales et territoriales en matière de santé », les étudiants étant incités à mener leurs actions hors de leur ville universitaire, par exemple en milieu rural. Dans l’académie de Grenoble, la formation des étudiants en santé des filières maïeutique, médecine, pharmacie et kinésithérapie va démarrer également début 2019 (voir ci-dessous).

Mais les différents sites ne sont pas tous aussi avancés. Les responsables de formation sont alors amenés à se tourner vers les ARS pour mobiliser des moyens financiers spécifiques (logistique, équipe projet, formateur). Les agences disposent en effet d’une enveloppe, le Fonds d’intervention régional (FIR), d’un montant de 3,7 milliards d’euros en 2018 (+ 100 millions par rapport à 2017) pour financer leurs actions : les IREPS sont d’ailleurs financées en grande partie par le FIR. Mais ces instances se trouvent souvent placées dans une situation inconfortable : faute de moyens supplémentaires pour contribuer à la mise en œuvre du service sanitaire dont elles ont bien perçu les enjeux stratégiques, elles se trouvent contraintes d’abandonner certaines actions d’accompagnement qu’elles menaient au bénéfice des opérateurs ou des institutions de leurs régions. Les conditions d’attribution du FIR sont encadrées par une circulaire budgétaire qui fait une courte mention du service sanitaire mais uniquement pour financer les « frais de déplacements de certains professionnels de santé ». L’absence de budget dédié entretient ainsi l’idée que la prévention « ça ne compte pas ».

 

Deux mots-clés : interdisciplinarité et inter professionnalité

L’interdisciplinarité est une nécessité, en l’absence de compétences internes aux facultés de santé. Dans la mesure où l’éducation pour la santé s’adresse à « des personnes en bonne santé », et non à des personnes malades, elle s’appuie principalement sur des savoir-faire qui relèvent plutôt des sciences humaines et comportementales. Pour Isabelle Derrendinger, directrice de l’école de sages-femmes de Nantes, « Les sages-femmes intervenant principalement auprès de personnes en bonne santé, n’ont aucun mal s’impliquer dans des programmes de prévention primaire. Et surtout, à Nantes, nous bénéficions d’une expérience de six ans d’intervention en milieu scolaire dans le cadre d’une action de formation à la contraception et à la vie sexuelle, réalisée avec l’aide de l’IREPS et le soutien de l’ARS et du Conseil régional. Le service sanitaire : nous sommes prêts ».

Les étudiants en maïeutique, en chirurgie-dentaire, en pharmacie ou en médecine, voire en kinésithérapie ont partagé les mêmes amphis pendant leur première année d’études (PACES). Pourquoi ne seraient-ils pas capable de travailler ensemble dans le cadre du service sanitaire ? Dans plusieurs sites, l’inter professionnalité est déjà une réalité. Dans d’autres, tout est à construire, avec encore beaucoup de méfiances entre les enseignants des différentes filières qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble. Il est vrai qu’il faut de la souplesse pour prendre en considération les attentes et les contraintes d’organisation de chaque cursus.

De manière générale, les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) adoptent, vis-à-vis du service sanitaire, une petite musique singulière. Comme l'indique Nathalie Alglave, directrice de l'IFSI de Nantes, "La formation des étudiants en soins infirmiers à l’éducation pour la santé n’est pas nouvelle et est incluse dans les programmes de formation depuis 1979 qui reconnaissent officiellement le rôle propre infirmier et donc la mission d’éducation auprès des citoyens. Le référentiel de formation infirmier de 2009 consacre environ 115 heures aux unités d’enseignement spécifiques à la santé publique, à l'éducation pour la santé et à l'éducation thérapeutique du patient, ces heures étant généralement couplées à un stage de 5 semaines pendant lequel les étudiants réalisent des actions d’éducation pour la santé". La véritable nouveauté pour la formation en soins infirmiers est le caractère interprofessionnel de cette initiative. 

 

Le service sanitaire apporte déjà des bénéfices

Il est évidemment trop tôt pour établir un bilan, les situations étant extrêmement disparates selon les sites de formation. Mais, pour Cyrille Colin, le lancement du service sanitaire apporte déjà des bénéfices. «  Tout d’abord en mettant autour d’une même table, à l’échelle locale, l’ensemble des filières en santé. Nous apprenons à nous connaître et l’inter professionnel se décline assez naturellement. Le deuxième bénéfice est la découverte du monde associatif. Nous ne disposons pas aujourd’hui de compétences internes en matière de prévention et nous nous sommes tournés vers l’IREPS Auvergne-Rhône-Alpes qui nous a apporté son expertise. Ce fut une rencontre un peu étrange entre le monde associatif et le monde académique, deux univers qui se tiennent à distance respective. Nous avons pu échanger, confronter nos points de vue, notamment sur la question des données probantes en prévention (actions éducatives ayant fait la preuve de leur efficacité). Les formateurs de l’IREPS ont l’habitude d’intervenir dans les classes, avec des méthodes pédagogiques particulièrement innovantes, savent tenir un langage compris par les groupes d’élèves ; ces rencontres ont été une véritable découverte. Troisième bénéfice enfin, un rapprochement avec le milieu institutionnel et le rectorat en particulier. Rencontrer des enseignants, parler avec eux de la manière dont ils font découvrir la contraception ou parlent de sexualité. Comprendre le fonctionnement des Comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) qui portent les questions de santé dans les établissements scolaires avec l’aide des infirmiers de santé scolaire… ».   

 

Pour les étudiants, une première occasion d’interroger la relation « professionnel de santé/personne en bonne santé »

Mais les jeunes bacheliers qui ont choisi un cursus santé sont-ils prêts à plonger dans le bain de la prévention ? « De manière générale, la plupart des étudiants accueillent cette initiative avec bienveillance » précise Cyrille Colin. « Dans chaque étudiant en santé, sommeille plus ou moins une vocation humanitaire. En général, les délégués étudiants avec lesquels nous travaillons sont très favorables au service sanitaire. Mais certains étudiants font aussi part de leur difficulté à adopter cette nouvelle posture d’éducateur en santé. Un jour, une étudiante a eu les applaudissements de l’amphi en déclarant – vous nous demandez de faire de l’éducation à la santé en milieu scolaire, mais comment voulez-vous que l’on y arrive… alors que nous sommes nous-même en grande souffrance…- »

Les études médicales sont en effet un véritable parcours du combattant, un cursus comparable à aucune autre filière. Dès les premiers stages, c’est la confrontation à la maladie, la mort, à l’incertitude de la décision médicale, parfois à des moyens insuffisants. Pour les étudiants en santé, le module prévention représente une véritable respiration : travail en groupe, confrontation à un autre univers, échanges avec les jeunes des écoles et des quartiers.

Le service sanitaire représente certes une petite parenthèse dans les différents cursus de santé. Mais il peut permettre aux étudiants qui construisent au cours de leurs longues années d’études leur projet professionnel, de dépasser le cadre fondateur de l’enseignement médical autour du schéma classique diagnostic/traitement, et de mieux prendre en compte une troisième perspective souvent absente de l’enseignement médical, la relation avec la population. En matière de consommation d’alcool, de tabac ou de cannabis, de comportements sexuels, d’alimentation ou d’activité physique, l’injonction, ça ne marche pas. En tant que formation à la prévention, le service sanitaire constitue ainsi une première occasion d’interroger les pratiques de soins et la relation « professionnel de santé/personne en bonne santé».

Le service sanitaire dans l’académie de Grenoble

Pour l’année universitaire 2018-2019, un programme commun de formation a été défini conjointement pour les quatre filières médecine, pharmacie, kinésithérapie et maïeutique – MPKM - (l’odontologie n’est pas enseignée sur le site grenoblois). L’intégration des IFSI à ce processus va s’effectuer de manière progressive à partir de la rentrée 2019.

Ce programme comprend trois volets, comme prévu dans le cahier des charges : un volet formation, un volet action et un temps d’évaluation. Chaque groupe d’étudiant est encadré par un référent pédagogique, enseignant des filières MPKM.

Le volet formation se décompose lui-même en deux parties :

- formation aux connaissances de base en prévention : fondamentaux sur la promotion de la santé et les principales thématiques du programme. Aux quatre thématiques retenues au plan national sont venus s’ajouter deux autres volets relatifs à la santé mentale (prévention du suicide) et à la vaccination, à la demande des responsables d’établissements scolaires. Les connaissances sont délivrées dans le cadre d’un enseignement en e-learning, complété par des Séances d’enseignement présentiel interactif (SEPI), à partir d’études de cas, de quizz… communes aux filières concernées.

- l’apprentissage des compétences éducatives s’effectue dans le cadre de séances de deux jours, par groupe de 25-30 étudiants. Deux type de séminaires sont proposés, l’un centré sur les addictions et fondé sur l’acquisition de compétences psychosociales (porté par la MSH), et l’autre relatif à l’éducation pour la santé porté par l’IREPS.

Les interventions en promotion de la santé seront réalisées par groupes de 3-5 étudiants (des différentes filières) en collèges et en lycées. Une centaine d’établissements ont été retenus parmi les établissements volontaires. Le temps d’intervention doit représenter l’équivalent de deux semaines pleines de présence dans l’établissement, la première semaine étant consacrée à la préparation de l’intervention. Les étudiants sont accueillis par le chef d’établissement, présentés au Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) et pris en charge par un référent de proximité (par exemple un infirmier de santé scolaire).

Le temps d’évaluation comprend la validation de la formation-action pour chaque étudiant : présence aux enseignements présentiels, contrôle des connaissances par une épreuve, présentation du rapport d’intervention et appréciation du responsable du lieu d’intervention. Le dispositif d’évaluation comprend également l’évaluation du vécu et des opinions des élèves qui ont participé au programme.  L’évaluation des effets de l’intervention sera effectuée par la MSH.

REMERCIEMENTS à toutes les personnes qui ont témoigné de leur expérience concrète dans la mise en œuvre du Service sanitaire : Pr Jean-Paul Saint-André (CHU d’Angers), Isabelle Derrendinger (directrice de l’école de sages-femmes de Nantes), Pr Patrice François (CHU de Grenoble), Pr Cyrille Colin (CHU de Lyon), Christine Ferron (Déléguée générale de la Fédération nationale d’éducation et de promotion de la santé-Fnes), Pr Leila Moret (CHU de Nantes), Mme Nathalie Alglave (Coordinatrice du département des instituts de formation, directrice de l’IFSI de Nantes).

*IREPS : De statut associatif, les Instances régionales d’éducation ou de promotion de la santé sont présentes dans toutes les régions françaises. La Fnes a des structures adhérentes dans toutes les régions de France mais qui ne portent cependant pas toutes le même nom : Cres en Paca, Fraps en Centre Val de Loire, Promo Santé IDF. Ces centres-ressources mettent à disposition des acteurs en prévention des outils pédagogiques, et des formations à l’éducation et à la promotion de la santé, dans les différents lieux de vie (établissements scolaires, EHPAD, entreprises, prisons…). Leur financement provient principalement des Agences régionales de santé (FIR), mais aussi parfois des Conseils régionaux. Les IREPS sont fédérées au plan national au sein de la Fédération nationale d’éducation et de promotion de la santé  (Fnes). 

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