Photo extraite du film de Raymond Depardon - 12 jours -.
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La psychiatrie dans la tourmente, Dr Alain Lopez, éditions Hygée

Le discours de la méthode du Dr Lopez

Dans l’ouvrage qui vient de paraître aux éditions Hygée, l’ancien inspecteur général se livre à un véritable « Discours de la méthode », pour réformer l’organisation des soins psychiatriques.

Avec, en bonus, une « réponse » du Pr Franck Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale.

Alain Lopez mobilise les dizaines de rapports déjà parus sur ce sujet pour en extraire les « arc-boutants » d’une véritable stratégie en santé mentale.

"Le dispositif de soins psychiatriques a des difficultés grandissantes pour répondre à toutes les demandes qui lui sont adressées."

Les rapports se sont multipliés ces dernières années, pour décrire les maux de la psychiatrie.

Mais si la plainte est générale, il n’y a pas de consensus sur la nature du « mal » et sur les remèdes proposés, affirme d’entrée Alain Lopez. 

Le dispositif de soins psychiatriques a des difficultés grandissantes pour répondre à toutes les demandes qui lui sont adressées. En cause, la « psychiatrisation de la société », à savoir une société et une vie humaine où tout s’explique par la psyché et ses tortueux méandres, où tout se transforme grâce à elle et par l’influence que les « psys » de toutes obédiences peuvent avoir sur elles ». Dans ces conditions, la psychiatrie est convoquée de toute part, de plus en plus, à tout propos.

Certains envisagent une gradation des réponses destinée à « assurer une meilleure efficience de la dépense publique ». « La séparation entre deux sortes d’états psychiques, les uns ne relevant pas de la maladie et les autres en relevant, permettrait de décharger la psychiatrie de « demandes excessives s’adressant à elles ». Mais l’auteur ne croît pas à ce schéma simpliste « … vouloir tracer une stricte frontière entre ce qui devrait relever d’elle (la maladie mentale) et ce qui ne le devrait pas est sans doute devenu un exercice voué à l’échec ».

"La politique de sectorisation n'a pas pris une ride"

Depuis le début des années 1960, l’organisation des soins psychiatriques repose sur la sectorisation psychiatrique ; à savoir un territoire délimité avec précision (autour de 70 à 80 000 habitants) censé répondre à tous les besoins de soins psychiatriques de la population du territoire, de la « simple » consultation, aux autres prises en charge (hôpital de jour, accueil thérapeutique à temps partiel…), jusqu’à l’hospitalisation « plein temps » (avec hébergement).

Le Dr Lopez et le Professeur Franck Bellivier ne partagent pas le même point de vue sur cette question. Pour le délégué ministériel « La politique de sectorisation … n’a pas pris une ride », alors qu'Alain Lopez parle d'un "territoire à la dérive".

Le modèle général de la sectorisation psychiatrique s’est en effet complétement transformé au fil du temps, et de multiples « exceptions » ont vu le jour par rapport au modèle de référence.

On dénombre aujourd’hui 780 unités dites intersectorielles, c’est-à-dire communes à plusieurs secteurs (source : SAE), pour 874 secteurs de psychiatrie générale, et 363 secteurs de psychiatrie infanto-juvénile. Ce véritable kaléidoscope s’est renforcé notamment sous l’influence des appels d’offres régionaux des Agences régionales de santé, mais aussi nationaux.

La psychiatrie, comme les autres spécialités médicales, connaît un mouvement de spécialisation. Des unités spécialisées pour les addictions, les suicidants, la gérontopsychiatrie… ont vu le jour. Dans la mesure où les moyens humains sont restés globalement constants, la création de ces unités s’est effectuée… au détriment de la sectorisation.

 

Les cliniques ont bénéficié d'une tarification avantageuse

Par ailleurs, les cliniques privées et les cabinets de médecins libéraux sont les grands absents de la circulaire de mars 1960 instituant la sectorisation psychiatrique. 

En ce qui concerne le secteur hospitalier, le nombre de lits de psychiatrie "plein temps" a augmenté de 14 % dans les cliniques privées, alors qu’il a diminué de 17 % dans les établissements publics et de 12,5 % dans les ESPIC au cours de la période 2013-2022 ! Quant aux effectifs de personnel, ils sont en légère baisse dans les établissements publics, alors qu’ils ont progressé de 78 % dans les cliniques privées, et de 15,6 % dans les ESPIC pendant cette même période.

Ce développement à deux vitesses s’explique par un système de facturation plus favorable pour les cliniques. Le budget des établissements publics est encadré par un forfait (dotation annuelle de financement), dont l’évolution évolue au rythme de l’inflation, alors que les cliniques bénéficient d’une tarification à la journée ; plus de journées d’hospitalisation = plus de recettes. Un système inflationniste abandonné depuis longtemps dans les autres secteurs du soin. Une réforme de la tarification est actuellement engagée, de manière à harmoniser le système de tarification des établissements publics et privés.

Alain Lopez s’interroge, plus généralement, sur les divisions anciennes public/privé. Il cite "Piet et Roelandt" qui estiment que les pathologies légères relèvent du secteur libéral, alors que les cas les plus lourds sont pris en charge exclusivement par les établissements publics. 

Le terme "privé" est source de confusion car il désigne à la fois les établissements d'hospitalisation privés, au sein desquels exercent des psychiatres libéraux et les 6 500 psychiatres libéraux en cabinet. Or les psychiatres libéraux n'ont pas toujours de liens étroits avec une clinique, parce qu'il n'y en a pas à proximité, ou par choix. Difficile de considérer que les 15 millions de consultations et visites annuelles des psychiatres ne traitent que des états dépressifs légers. Une nuance que le Dr Lopez n’a pas introduit dans son propos.

Un plan territorial élaboré "à l'initiative des professionnels de santé mentale"

Face aux difficultés de la psychiatrie, le ministère de la santé n’est pas resté inactif. Dans les premiers mois de sa prise de fonction, la ministre de la santé, Mme Agnès Buzyn a lancé la feuille de route en santé mentale (2018). Un an plus tard, le Pr Bellivier est nommé délégué ministériel, chargé de mettre en œuvre cette feuille de route.

Parmi les différentes mesures de cette feuille de route, figure l’instauration du premier niveau de coopération entre tous les partenaires agissant en faveur de la santé mentale, le Plan territorial en santé mentale (PTSM), élaboré à leur initiative[1]. Ce plan vise à déterminer une stratégie commune en santé mentale pour un territoire donné, la loi laissant beaucoup de liberté aux acteurs de terrain pour élaborer leur PTSM.

La mise en œuvre de ces plans stratégiques a mis en évidence une forte mobilisation des partenaires de la psychiatrie. En revanche, une majorité de praticiens semblent ignorer l'existence des PTSM. Le Dr Alain Lopez semble relativement sceptique vis-à-vis de cette démarche.

« Le temps dira si cette façon de procéder- entièrement ou presque entre les mains de partenaires ayant certes des intérêts communs mais susceptibles aussi de diverger voire de s’opposer – est efficace pour créer une forte dynamique collective, si ce ciment de la libre adhésion de tous à un processus commun, est le plus solide pour installer dans le long terme de telles coopérations sur la stratégie en santé mentale… ».

Est-il nécessaire d’encadrer le contenu des PTSM ? Michel Lafourcade, ancien directeur d’ARS, préconise, dans chaque territoire concerné par un PTSM, la mise en place d’un « panier de soins et de services » défini par un texte réglementaire. Dans la conclusion de l’ouvrage du Dr Lopez, le Pr Bellivier apporte sa propre réponse. Il identifie « … les cinq grandes fonctions qui organisent la réponse aux besoins de soins énoncés par les patients et leurs proches », à l’instar de ce qui est fait dans d’autres pays d’Europe :

  1. La santé mentale dans la communauté (politiques de prévention)
  2. Réponse aux situations urgentes par des équipes mobiles et l’ensemble des organisations qui permettent d’éviter le recours aux hospitalisations, en particulier sans consentement,
  3. Réhabilitation psychosociale qui vise le rétablissement de la personne dans son projet de vie (logement, formation, travail…) et qui consacre une entrée par les droits
  4. Soins médicaux à l’hôpital et en ambulatoire
  5. Équipes mobiles de suivi dans le lieu de vie.

[1] « Un projet territorial de santé mentale, dont l'objet est l'amélioration continue de l'accès des personnes concernées à des parcours de santé et de vie de qualité, sécurisés et sans rupture, est élaboré et mis en œuvre à l'initiative des professionnels et établissements travaillant dans le champ de la santé mentale à un niveau territorial suffisant pour permettre l'association de l'ensemble des acteurs » ( Art. L. 3221-2.-I Code de la santé publique).

"Et maintenant, que faire ?"

Nombreux sont ceux qui déplorent "l’absence de politique de santé », principal facteur d’explication des difficultés actuelles. Alain Lopez combat cette idée selon laquelle toute réforme doit venir de l’État. « Quelle est l’autorité publique de laquelle tout procède, à laquelle tout doit obéir ? ».

Le Dr Lopez considère la naissance d’une volonté politique comme « le résultat d’un ensemble de conjonctures favorables où ont leurs parts les idées exprimées par quelques-uns, la présence là où il le fallait et quand il le fallait de personnalités utiles pour préparer, faire adopter et prendre les décisions nécessaires, les circonstances sociales, administratives, économiques, la pression des mécontents, l’air du temps peut-être ».

 

Les arcs-boutants

« Souvent, parce que les réalités des prises en charge et des difficultés rencontrées sont pressantes, l’attention se porte sur des dispositions opérationnelles nombreuses dont la mise en œuvre est recommandée… mais au détriment des questions ayant un effet structurant sur l’organisation du dispositif de santé mentale et sur son fonctionnement. »

Alain Lopez identifient « … quelques grands sujets structurants exigeant des arbitrages à partir desquels prendra forme une politique et une stratégie adaptée à notre temps », que l’auteur appelle ses « arcs-boutants ». On ne sait pas d’où l’auteur tient cette référence religieuse ? S’il estime qu’il faut autant de temps pour bâtir une politique d’organisation des soins psychiatriques que pour construire une cathédrale, le pire est à craindre : 

  • L’organisation territoriale des soins
  • Les inégalités territoriales
  • Les constructions pluri partenariales
  • La place des patients et de son entourage
  • La recherche, l’évaluation, la qualité des soins, les formations.

Mais comment réformer l'organisation des soins psychiatriques, sans leadership. L’équipe du Pr Bellivier est réduite à quelques personnes, alors que la Direction générale de l’offre de soins, comme la Direction générale de la santé ont leur propre bureau « santé mentale » qui ne travaillent pas forcément tous dans la même direction. Le Pr Bellivier évoque la nomination d’un secrétaire d’État à la santé mentale. Pour le moment, il n’a pas obtenu gain de cause. Autre "oubli" du Dr Lopez, la nécessité d’un véritable « livre blanc », état des lieux des ressources et des pratiques qui fait grandement défaut actuellement.

 

"Il faut réenchanter la psychiatrie"

« Il faut réenchanter la psychiatrie »[1] affirme dans un essai Daniel Zagury ! Tout n’est pas à réinventer, lui répond le Dr Lopez ! Pour passer aux travaux pratiques, l’ancien inspecteur général considère qu'une politique nationale doit être faite de deux mouvements, condition indispensable capable de peser sur tous les facteurs en cause ; « le premier est le processus conduisant à fixer le cadre national. Le second intégrera les politiques décentralisées conformes au cadre national et l’enrichissant ».

« Nous sommes ainsi orientés en France par la ligne posée il y a soixante ans. Cette ligne peut faire l’objet de réajustements, mais il serait peu sage d’en changer profondément sans cesse. En revanche, elle doit se traduire ensuite en stratégies de durées plus courtes. Là où se situent les plans, schémas et feuilles de route, évalués et révisés périodiquement. »

Le Dr Lopez propose une méthode pour réformer l’organisation des soins psychiatriques. Reste à remplir les cases pour arrêter le nouveau texte fondateur de la politique de psychiatrie et de santé mentale que beaucoup réclament.


[1] Daniel Zagury « comment on massacre la psychiatrie française ». L’observatoire - 2021

La psychiatrie dans la tourmente, Dr Alain Lopez, 154 pages, Hygée Éditions, 18 €



Commentaires: 1
  • #1

    Yves Hurtrel (mardi, 20 février 2024 18:41)

    Le Pr Bellivier identifie une fonction que j'ai toujours trouvé essentielle : la Réhabilitation psychosociale. Après avoir été invalide à 80%, je bénéficie aujourd'hui d'un Rétablissement qui s'est très fortement consolidé. Il y a plus de 25 ans que je n'ai pas été hospitalisé. Pourquoi cette réussite ? J'ai, tout simplement, "fait de la Réhabilitation psychosociale sans le savoir". Cerise sur le "gâteau" ? J'ai pu pratiquer la Pair-Aidance ces quatre dernières années. Aider les autres c'est s'aider soi-même. Ça aussi, je l'ai toujours su.