Une épidémiologie au service des populations

Les polémiques autour de l’origine de l’excès de cas d’enfants nés « sans bras », constaté dans certains territoires, ont mis en lumière l’existence des registres de morbidité, organismes inconnus de la plupart de nos concitoyens. Leur contribution à la surveillance de l’état de santé des populations est pourtant primordiale. Fil Santé # soulève quatre questions pour mieux comprendre leurs missions et leur fonctionnement ! 

A quoi servent les registres ?

Officiellement*, « un registre de morbidité est une structure qui réalise un recueil continu et exhaustif de données nominatives intéressant un ou plusieurs événements de santé dans une population géographiquement définie, à des fins de recherche et de santé publique, par une équipe ayant les compétences appropriées ». Concrètement, un registre est chargé de repérer et de compléter l’ensemble des données de diagnostic relatives aux nouveaux cas (incidence) d’une maladie (cardiopathie ischémique, accident vasculaire cérébral, cancers, sclérose en plaques, malformation congénitale, situations de handicap…). En routine un registre identifie toutes les sources de données potentielles pour un diagnostic, croise les données qui concernent le même individu pour éviter les doublons, et conforte le diagnostic, en général en accédant aux sources d’information médicale du patient. 

Dans la mesure où  les registres rassemblent des données nominatives, ils sont soumis à des contraintes fortes de sécurité et de confidentialité, comme tous les organismes qui hébergent des données de santé. Seules des informations anonymes et agrégées sont publiées. Les patients sont informés par leur médecin de leur intégration au sein d’un registre et peuvent refuser d’en faire partie (droit d’opposition de la Loi Informatique et Liberté).

Les registres ont une double mission de veille sanitaire et de recherche. L’organisation du système de soin ne permet pas en effet la production de données épidémiologiques fiables en routine ; les registres apportent ainsi une contribution essentielle au système de surveillance des maladies. Ils constituent par ailleurs des outils particulièrement performants pour évaluer les politiques de santé publique par la description des pratiques à l’échelle de la population et non pas d'un service ou d'un établissement de santé.

Combien de registres ?

Les registres de morbidité existent dans de nombreux pays. Le registre des cancers du Bas-Rhin, né en 1975, est un des premiers registres créés en France, notamment sous l’impulsion de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Certains couvrent un territoire départemental (tous cancers par exemple). D’autres sont constitués nationalement, pour une pathologie donnée. Des registres ont aussi été créés en dehors de la métropole, comme par exemple en Guadeloupe où un registre contribue à évaluer les conséquences de l’utilisation massive du Chlordecone (insecticide aujourd’hui interdit utilisé pour lutter contre le charançon du bananier).

En 2016, il existait en France 62 registres de morbidité :

     - 18 registres de cancer généraux, et 13 registres de cancer spécialisés
     - 6 registres de maladies cardio ou neuro vasculaires
     - 6 registres de malformations congénitales
     - 7 registres portant sur des pathologies diverses
     - 12 registres de maladies rares.

La moitié des registres concernent les cancers (31). Les registres de cancer généraux couvrent un peu moins du quart de la population française. Ils sont fédérés au sein du réseau FRANCIM depuis 1988. Il n’est pas utile en soi, de créer des registres dans chaque département, les méthodes statistiques permettant d’effectuer des estimations départementales, régionales ou nationales, par extrapolation des données recueillies dans les registres existants, même s’ils ne couvrent qu’un quart de la population française. 

Comment sont-ils évalués ?

Une nouvelle organisation est en vigueur depuis 2013, qui distingue d’une part l’évaluation scientifique par les pairs, et d’autre part la détermination des orientations stratégiques.

L’évaluation scientifique relève du Comité d’évaluation des registres (CER), une instance composée uniquement d’experts et de chercheurs. Santé publique France, l’Inserm et l’Institut national du cancer (INCa) en assurent le secrétariat. L’évaluation est une démarche volontaire, qui est effectuée tous les cinq ans. Chaque registre est évalué par trois experts, selon trois axes : qualité technique du registre (fonctionnement, exhaustivité…), apport en santé publique (intérêt du registre, travaux…) et apport en recherche (projet scientifique, valorisation…).

Le comité stratégique des registres (CSR) est chargé de prendre les décisions d’orientation de la politique des registres, notamment en termes de priorité de couverture ou de financement. Il associe les trois grands partenaires des registres – l’INCa, l’Inserm et Santé publique France – la Direction générale de la santé et la Direction générale de l’offre de soins (ministère chargé de la santé) et la Direction générale de la recherche et de l’innovation (ministère de la recherche). La présidence et le secrétariat sont assurés, en alternance, par les ministères de la Santé et la Recherche. Santé Publique France contribue au financement de la plupart des registres qui participent à son réseau veille sanitaire. L’INCa finance les registres des cancers. L’Inserm participe, quant à lui, au financement des registres en fonction de leurs projets de recherche. Les registres complètent leur budget avec des financements locaux - Agence régionale de santé, Conseil régional…- de plus en plus difficiles à mobiliser.

Les citoyens lanceurs d'alerte

« Avec l’intérêt croissant du public pour la qualité de l’environnement et son impact sur la santé, les autorités sanitaires sont de plus en plus souvent sollicitées pour mettre en place des études épidémiologiques visant à objectiver l’existence d’une relation entre la perception d’un excès de maladie et une source de pollution présumée »**. Le regroupement dans le temps et l’espace de cas de maladies, de symptômes ou d’événements de santé au sein d’une population localisée est dénommé « agrégat spatio-temporel » ou, terme plus fréquemment utilisé, « cluster » (mot anglais). 

Entre 1997 et 2002**, 38 situations apparaissant comme préoccupantes ont été signalées à Santé publique France. Dans près d’un cas sur deux, ces signalements provenaient d'une association locale mais les registres peuvent être eux-mêmes à l’origine de signalement. Dans deux cas sur trois, une source environnementale est mise en cause, le plus souvent un site polluant. 

Pour faire face à ces interpellations, Santé Publique France a conçu le « Guide méthodologique pour l’évaluation et la prise en charge des agrégats spatio-temporels de maladies non infectieuses ». Lorsqu’elle est sollicitée, l'agence mène son investigation avec une enquête de terrain, en s’appuyant notamment sur les Cellules régionales d’épidémiologie (CIRE) installées dans les Agences régionales de santé.  

Dans ce domaine, la confrontation entre les demandes des acteurs qui identifient ces « excès de maladies ou de handicaps » supposés, et les épidémiologistes et/ou les autorités sanitaires peut être source de conflits. Car les excès perçus de cas ne sont pas, le plus souvent, confirmés par les études statistiques, les effectifs observés étant trop faibles pour en tirer des conclusions. Et dans les cas où l'excès est confirmé, l’établissement d’une relation causale entre la source de pollution et la maladie observée peut être difficile, sinon impossible à établir. L'impossibilité d'affirmer cette relation causale sur un plan scientifique ne signifie pas pour autant que les effets d’une pollution éventuelle n’existent pas. 

De manière générale, les registres n’interviennent pas en première ligne sur ces questions puisque l’organisme en charge de ces signalements est Santé Publique France. Si un registre pour la maladie en cause existe dans la région concernée, il sera alors sollicité.

 

Plus généralement, les registres produisent périodiquement des statistiques d’incidence (nouveaux cas) de la pathologie surveillée ce qui permet d'en suivre l’évolution et de réaliser des comparaisons d’incidence entre territoires en France et au niveau international. Dans le cas du cancer, les 31 registres français agrègent l’ensemble de leurs données au plan national dans le cadre du réseau FRANCIM, ce qui leur permet de publier, périodiquement, des estimations nationales, régionales et départementales d’incidences des cancers. 

Les données des registres de morbidité sont également utilisées pour comparer les pratiques de soins (délais de prise en charge…), les taux de survie pour une pathologie donnée ou pour évaluer une politique de prévention primaire ou secondaire. Ces bases de données sont souvent directement utilisées dans des protocoles de recherche.

Un appariement plus systématique des registres avec d'autres bases, notamment avec le nouveau Système national des données de santé, permettrait de valoriser au mieux ces bases médico-administratives et représente un enjeu majeur pour la recherche. 


Questionnaire rédigé avec l’aide du Dr Florence Molinié, médecin épidémiologiste, directrice du registre des tumeurs de Loire-Atlantique/Vendée, et membre du Comité national d’évaluation des registres (CER).

* Arrêté du 6 novembre 1995

**Guide méthodologique pour l’évaluation et la prise en charge des agrégats spatio-temporels de maladies non infectieuses


Commentaires: 1
  • #1

    Anne Le Pennec (jeudi, 24 janvier 2019 17:35)

    Et voilà qu'un article de Viviane Thivent dans Le Monde du 22/01/2019 pointe la couverture inégale du territoire en registres des cancers :https://www.lemonde.fr/sciences/article/2019/01/22/cancers-aucune-donnee-pour-78-de-la-population-francaise_5412764_1650684.html