Cumul emploi-retraite : quels effets sur la démographie médicale ?

A l’égal des retraités du régime général, les médecins libéraux peuvent cumuler leur pension de retraite et la poursuite d’une activité. Mais seuls 2,9% des retraités du régime général profitent de ce dispositif, contre 10 % des médecins libéraux. Quels sont les effets de ce dispositif sur la démographie médicale ? Pour quelles raisons ce cumul est-il si prisé par les médecins alors que beaucoup se plaignent d’être débordés et épuisés ?

De nombreuses mesures pour faciliter le cumul emploi-retraite

Jusqu'en 2003 la Caisse de retraite des médecins libéraux (CARMF) imposait à ceux-ci l‘arrêt de toute activité médicale non salariée (mais pas d'une activité salariée) pour prétendre à percevoir leur pension. Dans le but de promouvoir l’activité des seniors, la loi du 21 août 2003 a permis aux retraités salariés ou libéraux de continuer une activité professionnelle tout en percevant leur retraite, à condition que cette activité leur procure des revenus nets inférieurs à 130 % du plafond de sécurité sociale (29 184€ en 2003). En cas de dépassement de ce seuil la pension n’était plus versée. Les médecins libéraux étaient inclus dans ce dispositif mais peu y ont eu recours. Ce dispositif a été fortement assoupli en 2009 en supprimant tout seuil de revenu d’activité. Les retraités  peuvent ainsi cumuler intégralement leur pension de retraite acquise à taux plein et l’intégralité de leur revenu d’activité professionnelle. Cette suppression du plafond de revenu d’activité a été plébiscitée par les médecins libéraux, le nombre de bénéficiaires du cumul ayant été multiplié par 2,7 en moins de 10 ans. Les médecins concernés continuent cependant à verser des cotisations aux régimes de retraite en proportion de leurs revenus d’activité mais ces cotisations ne leur permettent pas de cumuler de points de retraite supplémentaires.

Depuis 2018, pour tenter de répondre aux problèmes de démographie médicale dans les zones dites déficitaires, une dispense partielle des cotisations de retraite a été accordée aux médecins cumulant, à condition que leurs revenus nets provenant de leur activité soient inférieurs à 40 000 €, puis le seuil d’exonération a été reculé à 80 000 € en 2019, ce qui correspond pour un médecin en honoraires conventionnels à une économie annuelle de 3 000 € environ.

Quand ils cessent leur activité, les médecins libéraux perdent plus de la moitié de leur revenu

Selon une récente étude de la DREES, 10% des médecins libéraux en activité au 1er janvier 2018, soit 12 000 praticiens environ, cumulent revenus d‘activité et pension de retraite. Ce cumul persiste pendant environ quatre ans, les cumulants prenant leur retraite à 69 ans en moyenne. Parmi les différentes spécialités, les psychiatres sont ceux qui ont le plus recours à ce dispositif (un sur quatre), contre seulement 8,3 % des généralistes, pourcentage qui est d’autant plus élevé que la proportion de médecins âgés est plus importante.

La forte adhésion à ce dispositif s’explique pour certains médecins par la crainte d’une perte importante de revenus au moment de la cessation d‘activité : la retraite moyenne versée mensuellement aux médecins libéraux par leur caisse de retraite (CARMF) est en effet de 3 080€ en 2018 (avant prélèvements sociaux, CSG…) pour un revenu professionnel imposable moyen de 7 500€. Par ailleurs, les générations précédentes étaient en mesure de "vendre leur clientèle“ au moment de leur cessation d'activité ce qui n’est plus le cas aujourd’hui pour la majorité d’entre eux.

A Paris, un médecin libéral sur cinq cumule activité et pension de retraite

Il est bien difficile de mesurer l’impact de ces différentes mesures, pour certaines très récentes, sur la démographie médicale. L’âge de cessation d’activité des médecins libéraux a reculé d’un an et huit mois entre 2011 et 2017. Sur ce point l’objectif visant à favoriser l’emploi des seniors a été atteint, même si les médecins retraités qui continuent à exercer réduisent leur temps de travail, ce qui en diminue l‘impact sur l’offre de soins.

Les spécialistes exerçant dans les zones à honoraires libres et/où dans des territoires dans lesquels la densité médicale est importante ont l’âge de départ le plus élevé. Les généralistes installés dans les zones très peu denses ont également un âge de départ plus élevé, sans doute parce qu’ils ont du mal à trouver un remplaçant et qu’ils ne souhaitent pas laisser leur patientèle sans médecin. Enfin, il faut signaler la situation singulière de Paris, ville dans laquelle les médecins prolongent leur activité plus longtemps qu’ailleurs. Dans la capitale, un médecin libéral sur cinq exerce une activité tout en étant retraité, contre un sur dix en moyenne en France.

Ce n’est pas la première tentative d’ajustement de la démographie médicale par le truchement d’avantages spécifiques concédés aux médecins libéraux. Dans une conjoncture inverse, il y a une trentaine d’années, les pouvoirs publics considérant que l’offre de soin en ville était excédentaire, ont institué un dispositif avantageux de retraite anticipée dès 57 ans, le Mécanisme d’incitation à la cessation d’activité (MICA), dont 10 000 médecins ont bénéficié entre 1988 et 2003… Une mesure particulièrement inadaptée alors que la situation de la démographie médicale était en train de s’inverser.

Pour les gouvernements en place, toutes les solutions semblent bonnes à prendre pour faire face aux tensions sur l’offre de soins. Mais l’efficacité de ces mesures n’est pas toujours au rendez-vous !


Commentaires: 1
  • #1

    Delanoë Jean Yves (lundi, 23 septembre 2019 11:43)

    Article sérieux et bien documenté sur une question qui fait dire bien des contre vérités à nos dirigeants. L augmentation du numerus clausus des deux dernières années n etait pas justifiée et va provoquer des déconvenues....dans 10 ans !