Des bilans de santé effectués par des professionnels de santé du premier recours

Petite révolution dans le monde des bilans de prévention, occupé jusqu’ici principalement par les centres d’examen de la sécurité sociale. Selon une promesse présidentielle, des bilans de santé gratuits devraient être proposés systématiquement à différents groupes de population. Ces bilans seront  réalisés par les professionnels de santé de premier recours, libéraux ou salariés (centres de santé) et non plus par les caisses d'assurance maladie. Véronique Hunsinger dévoile dans Égora les premiers principes connus de mise en œuvre de cette promesse présidentielle, dans l’attente de la publication de l’arrêté qui doit fixer ses modalités précises de mise en œuvre.

Des bilans de santé proposés par l'assurance maladie depuis 1946

Depuis 1946, le code de la sécurité sociale fait obligation aux caisses d’assurance maladie de proposer à l’assuré du régime général et aux membres de sa famille un examen de santé gratuit. Ces bilans ont lieu dans des centres spécialisés de l’assurance maladie (centres d’examen de santé) ou auprès d’organisme privés (IRSA).

La doctrine a cependant évolué au fil du temps. Aujourd’hui, les examens de santé n’ont plus une vocation universelle, et s’adressent de manière prioritaire aux personnes de plus de 16 ans éloignées du système de santé et en situation de précarité. Mais aucune donnée récente n’est publiée par l’assurance maladie quant au prix de revient de ces bilans et au nombre de personnes en ayant bénéficié.

Les examens de santé représentaient un budget de 196 millions € en 2022 pour l'assurance maladie (comptes de la santé de la DREES), et leur développement se poursuit. L’Assurance Maladie a inauguré le premier centre d’examens de santé de Montpellier, en présence du Maire de Montpellier et du Directeur Général de la CNAM Thomas Fâtome, en avril 2023. Le premier centre d’examens de santé de la CPAM Côte d’Opale a vu le jour quant à lui en avril 2021.

Comment ça marche ?

Selon la promesse présidentielle, les bilans de santé seraient effectués par des professionnels de santé de premier recours. En pratique, les assurés concernés pourront prendre un rendez-vous, d’une durée de 30 à 45 minutes, auprès du professionnel de santé de leur choix ; médecins mais aussi sage-femmes, infirmiers et pharmaciens. S’ils le souhaitent, ils pourront remplir au préalable un auto-questionnaire de santé qui permet de préparer le bilan et d’indiquer de quoi on veut parler. Ce document adapté à chaque tranche d’âge n’est pas obligatoire. Il sera accessible sur le site du ministère ou sur "Mon espace santé".

Contrairement aux examens de prévention des centres de la Sécu qui s’adressent prioritairement aux personnes les plus éloignées des soins ou encore les check-up proposés dans certaines cliniques, l’objectif n’est pas tant de détecter d’éventuelles pathologies que de prévenir leur apparition, affirment les responsables de la Direction générale de la santé. Quatre tranches d’âge clés ont été définies pour ces bilans : 18-25 ans, 45-50 ans, 60-65 ans et 70-75 ans.

Les professionnels de santé disposeront, de leur côté, d’une fiche d’aide au repérage des risques. Par exemple, dans la tranche d’âge 45-50 ans, les femmes pourront dire si elles souhaitent – ou non – aborder la question de la ménopause. Au cours de l’entretien, tous les sujets identifiés pourront être explorés : de la santé mentale à la santé sexuelle, des examens de dépistage aux vaccinations, des problèmes d’addiction aux violences conjugales… Et les professionnels s’appuieront sur des outils comme l’intervention brève ou l’entretien motivationnel.

À l’issue de cet entretien, un plan personnalisé de prévention (PPP) sera mis en place. "C’est un petit plan d’actions concrètes que le professionnel et la personne rédigent ensemble pour que les objectifs soient concrets, réalistes et réalisables", indique Gaëlle Jamet, directrice de projet à la DGS. Et le document envoyé systématiquement – avec l’accord du patient – au médecin traitant est consigné dans "Mon espace santé". Ce bilan est gratuit et prise en charge à 100 % par l’assurance maladie.

Même rémunération pour tous les professionnels de santé

Quel que soit le professionnel consulté, la rémunération serait la même pour tous : 30 € en métropole (avec un supplément de 1,5 € en outremer). De plus, le bilan "ne pourra faire l’objet d’aucun dépassement" et ne sera "facturé qu’une seule fois par personne et par tranche d’âge avec le code acte “RDV”". Cette cotation est cumulable, "si nécessaire", avec celle d’une consultation classique pour un médecin généraliste ou celle d’un autre acte s’il est réalisé dans la foulée, par exemple une vaccination ou un frottis. 

Tout sur tout

Selon les éléments recueillis par V. Hunsinger, ces bilans n’ont pas vocation à dépister telle ou telle maladie. On y parlera « de santé mentale, de santé environnementale, éventuellement de violences physiques et psychiques envers les femmes. L’objectif, c’est « de donner des clés aux Français pour acquérir une culture de la prévention » en santé. Pendant 30 à 45 minutes, ils prendront le temps de discuter tranquillement avec un professionnel de santé sur leurs habitudes de vie et identifier avec lui les changements qu’ils peuvent introduire, notamment en matière d’alimentation, de sommeil ou d’activité physique », a déclaré Christine Jacob-Schuhmacher, sous-directrice en charge de la santé des populations et de la prévention des maladies chroniques à la Direction générale de la santé.

Une expérimentation dans les Hauts-de-France

Le dispositif a démarré en phase pilote en octobre 2023, dans les cinq départements des Hauts-de-France sur la tranche d’âge 45-50 ans, choisie par le ministre de la santé de l’époque, François Braun. En trois mois, autour de 80 bilans ont été réalisés, sans communication particulière vers le grand public. Dans la Somme, les professionnels de santé ont été informés de la possibilité d’y participer par un mail de l’Assurance maladie : sur les 2 000 concernés, sept seulement se sont portés volontaires. Dans les quatre autres départements, l’ARS a organisé une rencontre de lancement en septembre à Lille et une série de réunions de terrain avec chaque CPTS. Comme elle s’y attendait, c’est la seconde modalité d’approche qui a été plus efficace : les professionnels de cinq CPTS se sont lancés. « Par rapport à une consultation médicale habituelle, le bilan peut permettre d’engager une petite dynamique sur la prévention, mais si cela reste du one-shot, l’impact restera modéré. Il faut aussi pouvoir disposer de suffisamment de ressources d’aval », estime Jacques Franzoni, président de la CPTS du Grand Valenciennes. (Égora)

Qui a conçu le projet ?

Ce projet a été porté par la Direction générale de la santé (DGS) au ministère de la santé. Selon les déclarations recueillies par la journaliste, la conception de ces bilans de santé a été coconstruite avec les représentants des professionnels depuis le printemps 2023, notamment les Ordres et les Conseils nationaux des professions médicales et paramédicales (collège de médecine générale pour les généralistes par exemple), que ce soit pour les auto-questionnaires, les fiches thématiques et la plateforme d’e-learning développée en partenariat avec l’EHESP.

Quel est l'objectif ?

Les syndicats de professionnels de santé libéraux peuvent difficilement s’opposer à ce projet puisqu’ils réclament cette disposition depuis des décennies. Plusieurs professionnels de santé publique se sont exprimés en revanche pour contester l’intérêt de ces bilans, en l’absence de preuves de leur efficacité.

De multiples questions se posent en réalité quant aux modalités pratiques de mise en œuvre de ces bilans… et à leur utilité.

·        Tarif de consultation – Le tarif du bilan peut se cumuler à une consultation ordinaire, soit 60 € au total pour un médecin généraliste. Une rémunération considérée comme insuffisante par les représentants syndicaux.

·        Temps disponible - Avec une démographie médicale en berne, comment les généralistes libéraux vont-ils pouvoir dégager du temps humain pour des entretiens de 30 à 45 minutes ? L'exercice coordonné - infirmier-médecin généraliste - dans les Maisons de santé peut être le cadre privilégié pour organiser ces bilans.

·        Utilité. Il n’y a pas consensus au niveau scientifique sur l’utilité des bilans de santé. Car les personnes qui se manifestent pour en bénéficier sont le plus souvent des personnes en bonne santé des catégories supérieures. La publication récente d'un article sur ce sujet dans le BMC médecine apporte un éclairage nouveau à ce sujet.

·        Moyens financiers – Combien va couter ce nouveau dispositif et comment sera-t-il financé ? 

·        Que deviennent les centres d’examens de santé ?  Dans ce nouveau contexte, faut-il préserver, voire continuer à développer, le réseau des centres d’examens de santé de l'assurance maladie ?

 

Le nouveau ministre délégué à la santé, Frédéric Valletoux, ancien président de la Fédération hospitalière de France, va devoir répondre à toutes ces question pour publier son arrêté relatif à ce nouveau dispositif.