Santé au travail : trois rapports

et un big bang organisationnel ?

L’été 2018 a été particulièrement chaud en matière de réflexions sur l’organisation de la santé au travail, avec la publication d’un rapport parlementaire et de deux autres rapports réalisés à la demande du gouvernement. Mais, au-delà de ces constats et propositions, quelles décisions vont être réellement prises !

La prévention en entreprises… tout le monde s’en préoccupe mais les entreprises petites ou moyennes ont parfois bien du mal à s’y retrouver parmi la myriade d’organismes publics ou parapublics qui contribuent à l’expertise dans ce domaine. C’est en tout cas un des constats du rapport réalisé à la demande du Premier Ministre par Charlotte Lecocq*, députée du Nord (République en marche), et qui préconise un véritable big bang institutionnel, aussi bien sur le plan national que régional.

 

Une agence serait créée au plan national « Santé travail France », regroupant l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) et l’Office professionnel de prévention du Bâtiment et des Travaux publics (OPPBTP). Ces trois organismes* emploient actuellement un millier de salariés, dont une partie exerce en région (ANACT et OPPBTP). En revanche, l’Agence nationale pour la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), qui est reconnue comme une référence en matière de recherche sur la santé au travail, ne serait pas concernée par ces transformations et conserverait ses moyens et son indépendance.

 

Même bouleversement envisagé au plan régional, avec la création d’un guichet unique pour les entreprises, « Région santé travail », rassemblant le service prévention de la CARSAT (caisse de sécurité sociale plus connue pour son activité de liquidation des retraites des salariés), et les délégations régionales de l’ANACT (Agence régionale d’amélioration des conditions de travail), et de l’OPPBTP. Les Services de santé au travail interentreprises (SSTI) devraient également s’intégrer dans cette superstructure régionale.

 

Ce guichet unique des services de prévention régionaux intégrerait toutefois ni les services autonomes d'entreprise (qui concernent les plus gros employeurs), ni ceux des trois fonctions publiques d’État, territoriales (communes, conseils départementaux...) et hospitalières, ni ceux de la Mutualité sociale agricole (MSA). 
Des simplifications sont également envisagées en matière de financement avec l’instauration d’une cotisation unique qui regrouperait à la fois la couverture du risque professionnel (cotisation AT-MP dont le montant est déterminé par la CARSAT), et la prévention (financement des services de santé au travail, et cotisation spécifique des entreprises du BTP qui finance l’OPPBTP).

 

Mais la politique de prévention au travail n’est pas qu’une question d’organigramme. Le rapport envisage notamment de donner plus de lisibilité à la politique de santé au travail, de renforcer ses financements (la branche AT-MP est la seule branche excédentaire de la sécurité sociale), avec la création d’un Fonds national de prévention. Par ailleurs, cette évolution nécessiterait une meilleure articulation entre le Plan santé travail (PST), dans le champ du ministre du travail, et la Stratégie nationale de santé, qui ressort du ministre chargé de la santé.

 

Environ trois millions de personnes travaillent dans l’industrie, effectif en net recul, ce secteur d’activité ne représentant plus que 12,5 % du Produit intérieur brut (PIB). Or, les professionnels qui exercent ces activités restent soumis, dans de nombreux cas, à des conditions de travail ou à des expositions professionnelles qui sont susceptibles de mettre en danger leur santé.

Saisi en fin d’année 2017 par la ministre du travail, Madame Muriel Pénicaud, Paul Frimat, professeur de médecine du travail à la faculté de médecine de Lille, devait répondre quant à lui à trois questions relatives à la réglementation de la prévention de l’exposition des travailleurs aux agents chimiques dangereux et à sa mise en œuvre, à la traçabilité du suivi des salariés, et aux règles d’indemnisation pour ces risques. Dans son rapport, le Pr Frimat préconise de faire mieux respecter la réglementation, y compris par le biais de mesures coercitives ; instauration d’amendes administratives pour les employeurs ne respectant pas leurs obligations vis-à-vis du risque chimique, et extension de l’arrêt temporaire d’activité par l’Inspection du travail à l’utilisation de certains produits chimiques, en cas de manquement grave aux mesures essentielles de prévention.
Animé par Pierre Darrhéville, député communiste des Bouches-du-Rhône, la commission d’enquête parlementaire « sur les maladies et pathologies professionnelles dans l’industrie (risques chimiques, psychosociaux ou physiques) et les moyens à déployer pour leur élimination » a rendu sa copie en juillet dernier, avec 43 propositions à la clé envisageant notamment des améliorations des conditions de reconnaissance des atteintes à la santé, de leur réparation et de leur compensation, congruentes avec certaines contenues dans le rapport Frimat, publié quelques mois plus tôt (mais rendu public très récemment).

 

Maintenant que ces préconisations sont sur la table, que va décider le gouvernement ? Ces différents rapports vont-ils connaître le même sort que le rapport Borloo sur les banlieues ? La création d’une agence publique « Santé au travail » serait pourtant un signal politique fort, pour faire remonter ces préoccupations d’un cran. 

 

Le corps professionnel le plus directement concerné est celui des médecins du travail. Certains médecins craignent que, dans la mesure où le suivi médical des salariés serait amalgamé à l’ensemble des prestations de prévention pour les entreprises, ce suivi individuel, qui seul permet une réelle connaissance des liens entre la santé et le travail, ne puisse être effectué dans de bonnes conditions. Progressivement, la médecine du travail, spécialité médicale en pleine crise démographique, voit son périmètre d’activité devenir de plus en plus confus (avec l'éventualité de l'instauration de prestations de prévention pour l’entreprise), voire se réduire : ainsi, le Parlement a voté en août dernier (article 11 de la loi relative à la liberté de choisir son avenir professionnel**), l’ouverture au médecin de ville, à titre expérimental, de la visite d’information pour l’embauche d’un apprenti lorsque aucun médecin du travail n’est disponible dans un délai de deux mois. Le rapport Lecocq envisage également de confier le suivi médical des salariés aux généralistes de ville pour certains salariés de particuliers employeurs (recommandation 7).


- Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée - Rapport fait à la demande du Premier ministre, établi par Charlotte Lecocq, députée du Nord (République en marche), Henri Forest (ancien secrétaire confédéral CFDT), Bruno Dupuis (consultant), et avec l’appui d’Hervé Lanouzière (Inspection générale des affaires sociales).

- Rapport n° 1811, fait au nom de la commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l’industrie (risques chimiques, psychosociaux ou physiques) et les moyens à déployer pour leur élimination - Président M. Julien Borowczyk, Rapporteur : M. Pierre Dharréville, Assemblée nationale, 19 juillet 2018.

- Mission relative à la prévention et à la prise en compte de l’exposition des travailleurs aux agents chimiques dangereux - Mission confiée à Monsieur Paul Frimat, professeur universitaire et praticien hospitalier de l’université de Lille.


* L’INRS installé à Paris et à Nancy est financé par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAM) et relève de la branche accidents du travail-maladies professionnelles de la sécurité sociale. Il dispose de 580 salariés. L’ANACT emploie 80 salariés et l’OPPBTP 321 salariés. Ces deux organismes disposent de délégations régionales.

**  Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018.