L'après covid !

Même si nous ne savons pas quand nous « sortirons » de la pandémie, cela ne nous empêche pas de penser à l’avenir, et à ce qui va se passer après le covid. Mais pour le moment il est vrai, les intentions de l’exécutif ne sont pas connues, car la gestion de l’épidémie et ses conséquences économiques et sociales l’occupent à temps plein. Mais déjà s’amorcent quelques lignes fortes dans un débat… qui ne fait que commencer, pour une pandémie qui constitue un immense champ d’expérimentation pour le système de santé.

Quels bénéfices les hôpitaux vont-ils tirer de leur mobilisation ?

Depuis le début de l’épidémie, les services hospitaliers sont au centre de toutes les attentions. Les autorités sanitaires surveillent avec une très grande attention l’évolution rapide du nombre de patients en réanimation qui a progressé vite jusqu’au 8 avril et qui depuis reflue. Demain, les hospitaliers espèrent tirer profit de leur mobilisation afin notamment de desserrer les contraintes budgétaires qui pèsent sur leurs épaules depuis des décennies. Mais les difficultés que connaissent les établissements de santé se comptabilisent-elles uniquement en termes de points d’augmentation de l’ONDAM ?

 

Des urgentistes prônent la fin de l’accès direct aux urgences

Deux urgentistes, les Drs Philippe Juvin (chef de service des urgences de l’hôpital Georges Pompidou) et Mathias Wargon (chef de service aux urgences du centre hospitalier de Saint-Denis) cherchent à tirer ensemble dans « Le Monde » les enseignements de la crise pour les services d’urgence et les hôpitaux. L’originalité de leur propos tient à ce que ces praticiens prônent la fin de l’accès direct aux urgences, le passage obligatoire par une plate-forme téléphonique ou numérique, et la création de filières spécifiques d’urgence pour les personnes âgées et/ou en fin de vie.

 

L’hôpital public a démontré au cours de la crise due au coronavirus sa grande capacité d’adaptation

Pour faire face à l’explosion des besoins en réanimation, les anesthésistes-réanimateurs, au nombre de onze mille en France, ont permis la création ex nihilo de nouvelles unités de réanimation à partir des blocs opératoires et des salles de réveil. Formés d’emblée à un exercice mixte d’anesthésie et de réanimation, ils ont immédiatement réorienté leur activité vers une activité quasi exclusive de réanimation. Ce redéploiement rapide des moyens humains et matériels… a ainsi pleinement contribué au doublement de la capacité de lits de réanimation en France, fait inédit dans l’histoire de la médecine moderne ! Un collectif d’anesthésistes-réanimateurs essaie à sa façon de tirer les premiers enseignements de cette crise dans une tribune au « Monde », et du rôle qu’y joue une spécialité médicale… qui se font habituellement dans le décor des blocs opératoires !

 

L’ancien secrétaire général de la Fédération hospitalière de France (FHF), Gérard Vincent, préfère le statut de la FEHAP à celui de la fonction publique hospitalière

Gérard Vincent, successivement directeur des hôpitaux au ministère de la santé puis secrétaire général de la toute puissante Fédération hospitalière de France (FHF), préconise, maintenant qu’il a quitté ses fonctions d’abandonner le statut de la fonction publique hospitalière, trop contraignant, pour celui de la fédération des hôpitaux non lucratifs, la FEHAP. Un certain nombre de directeurs d’hôpitaux et de praticiens hospitaliers ont déjà franchi le pas, las des lourdeurs de l’hôpital public… et pour y trouver de meilleures rémunérations. Les deux auteurs de cette tribune proposent par ailleurs de confier aux régions la mise en œuvre des politiques de santé, y compris sur le plan économique en cas de déficit, et du développement d’une véritable politique de prévention.

Le premier recours « expérimente »

Il se passe des choses étonnantes à l’occasion de cette épidémie, les acteurs de terrain faisant preuve d’une grande capacité d’adaptation. Les téléconsultations qui étaient considérées comme un gadget permettant d’enrichir quelques plateformes téléphoniques sont maintenant utilisées couramment par les médecins généralistes. Une redistribution des rôles est en cours avec le démarrage du déconfinement, et la création des « brigades mobiles » chargées d’entreprendre une recherche des patients contaminés (contact tracing) qui mobilisent les professionnels de premier recours… Quant à la baisse d’activité des généralistes, elle interroge tout d’un coup la nature des recours aux soins en médecine générale… et provoque dans l’immédiat une baisse de leurs revenus. La tarification à l’acte va-t-elle en prendre un coup ?

 

« Certains témoignages sont… très impressionnants, tant ils révèlent un très fort investissement collectif pour rassembler, organiser et mettre en œuvre rapidement des réponses territoriales avec les moyens du bord ».

Comment les professionnels de premier recours adaptent leurs pratiques et leurs organisations à l’épidémie ? Comment ces adaptations varient selon le contexte d’exercice ? Quelles sont les innovations mises en œuvre ? Certaines formes d’organisations sont-elles plus réactives que d’autres ? … Yann Bourgueil, directeur de recherche à l’IRDES, dans une interview sur le site de la société française de santé publique (SFSP) égrène ainsi différentes questions qui sont en cours d’exploration par le réseau de recherche en soins primaires ACCORD.

 

Un stress test pour le premier recours

Cette crise sanitaire, qui désormais place les médecins de ville en première ligne, va peut-être être l’occasion de décloisonner deux mondes – médecine de ville et médecine hospitalière –, estime, dans une tribune au « Monde », la sociologue Nadège Vezinat. Cette dernière parle d’une nécessaire redistribution des rôles entre ces deux mondes pour une médecine territorialisée et populationnelle, en lieu et place d’une médecine consacrée à des individus vus sous l’angle d’une patientèle. Une idée vieille de plusieurs décennies mais qui a bien du mal à se traduire dans les faits.

La santé publique au centre de toutes les attentions

Si la situation n’était pas aussi dramatique, nous devrions nous réjouir d’un tel intérêt soudain pour la santé publique et les politiques de santé. Les professionnels de santé publique sont sur tous les fronts actuellement que ce soient la Direction générale de la santé (DGS) ou Santé publique France qui doit mener de concert la surveillance épidémiologique, la conception des spots publicitaires pour les gestes barrières, la gestion de la réserve sanitaire ou la logistique des masques et autres dispositifs médicaux. Les ARS aussi qui, sur le terrain, essaient de concilier directives ministérielles et réalités de terrain. Il y a aussi ceux et celles dont ne parle pas du tout, à savoir les équipes d’hygiène hospitalières, la lutte contre le risque infectieux étant primordiale dans un contexte de pandémie. Quant aux bilans et Retex (retours d’expérience), ils viendront plus tard ! La redéfinition d’une doctrine de sécurité sanitaire est pour plus tard !

 

« Nous étions, ou plutôt nous croyions, être prêts »

Nous étions, ou plutôt nous croyions être prêts pour une éventuelle pandémie, affirme Olivier Borraz directeur de recherche au CNRS, dans Médiacités (pour abonnés). « Cela fait vingt ans que nous nous préparons à faire face à des évènements inattendus, à l’aide de plans et d’exercices de crise. Et cependant nous n’avons pas su anticiper l’arrivée de ce nouveau coronavirus, et nous ne disposons pas des matériels pour en gérer la survenue. Après tout, pourquoi s’en inquiéter alors que notre pays dispose d’un « plan pandémie grippale » … Lorsque la menace sur notre sol est devenue imminente et que les décideurs ont été contraints de réagir, ils se sont alors aperçus… que les moyens prévus dans le « plan pandémie » manquaient… Depuis, Emmanuel Macron et Edouard Philippe ont dû tout réinventer dans l’urgence. Olivier Borraz s’interroge également sur le rôle qu’ont joué les experts de santé publique dans cette affaire, l’exécutif ayant préféré faire appel à ses propres experts plutôt qu’aux structures officiellement compétentes préparées à gérer des crises. Comme si Emmanuel Macron et Edouard Philippe ne souhaitaient pas se lier les mains avec les agences existantes ou leur administration, de peur de se voir imposer leurs vues mais aussi leurs lourdeurs.

 

Repenser la santé publique, estime Laurent Chambaud

Laurent Chambaud directeur de l’école des hautes études en santé publique (EHESP), apporte sa contribution dans The conversation à la réflexion sur la santé publique. Il faut avoir en tête la dépendance de la santé des individus avec “l’interdépendance de toutes les composantes de notre environnement, popularisée par le concept de « one health » afin de rendre lisible et cohérente la stratégie de contrôle (du virus) mais aussi de prévention“. En conclusion, Laurent Chambaud fait partie de ceux qui croient que nous ne sortirons pas de cette crise comme nous y sommes entrés. 

La démocratie sanitaire inaudible

Il faut avoir beaucoup de bonne volonté pour croire en l’existence de la démocratie sanitaire en cette période. Le site internet de la Conférence nationale de santé (CNS) qui est généralement peu bavard est muet depuis décembre 2019. Aucune information sur ce site pour nous avertir que la CNS avait changé d’exécutif et qu’un nouveau président a été élu en janvier, en la personne d’Emmanuel Rusch, président de la société française de santé publique. Il est vrai que la CNS est directement administrée par les services de la Direction générale de la santé qui a actuellement d’autres soucis. Nous avons toutefois réussi à trouver trace d’un avis récent plutôt fade de la CNS publié sur le site www.sante.fr.

Quant aux instances régionales (Conférence régionale de santé et d’autonomie) elles sont également absentes du paysage dépendant administrativement des ARS.

Dans une interview au Monde, le Pr Delfaissy, président du conseil scientifique qui conseille le gouvernement pour le covid déclare qu’il a écrit mi-avril, à l’Elysée et à Matignon pour leur demander la mise sur pied d’un comité de liaison citoyen qui serait associé à l’équipe qui pilote le déconfinement. Au moment de la rédaction de cet article (3 mai) nous n'avons pas trouvé trace de la suite donnée à cette proposition.

Le débat ne fait que commencer

A l’heure de l’intelligence artificielle, de l’e-santé et de l’homme augmenté par le numérique, la protection sanitaire de la population tient à de vulgaires masques en tissu et à l’abstention des embrassades. Cette crise, ses causes et ses paradoxes portent à réfléchir à l’avenir de notre système de santé, à son rôle et son efficience. Les acteurs du soin se sont encore peu emparés de cette réflexion. Souhaitons que les acteurs de la démocratie en santé contribuent au débat pour un développement de la santé et pour une meilleure efficience du système de soins.

 

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