La Grande sécu existe déjà...

pourquoi l'inventer ?

La Grande sécu existe dans les deux départements alsaciens et en Moselle depuis 1918. La réintégration de ces trois départements dans le giron national à la fin de la guerre a nécessité d’adapter le droit social français au système des assurances sociales allemandes beaucoup plus avantageux. Un petit retour en arrière permet de mieux comprendre les enjeux du débat actuel.

       En 1918, à l’issue de la première guerre mondiale, les trois départements français sous occupation allemande depuis 1871 (Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle) ont réintégré la nation. Or, la fin de la guerre n’eut pas que des avantages pour les habitants de ces trois départements. En effet, l’Allemagne était la première nation d’Europe à avoir institué, dès les années 1880, sous l’impulsion de Bismarck, un système d’assurances sociales couvrant une grande partie de la population, pour la maladie, la vieillesse… dans le but de lutter contre l’influence naissante des syndicats de salariés et des partis d’opposition. Pendant l’occupation allemande, les habitants des anciens départements français ont bénéficié des assurances sociales de l’empire germanique.

           En 1918, la France ne disposait pas d’une telle organisation. Certes, plusieurs centaines de « sociétés de secours mutuel » avaient été créées tout au long du XIXème pour porter assistance aux ouvriers en cas de maladie et de chômage, mais ces initiatives ne bénéficiaient qu’à une partie de la population (4 millions de mutualistes). Le Gouvernement assura alors le maintien du code des assurances sociales allemandes et fixa un régime transitoire (octobre 1919) pour les départements Alsaciens et la Moselle ; le maintien d’une législation locale fut confirmé en 1924.

En parallèle, plusieurs projets de loi furent débattus mais il fallut attendre 1930 pour que soit votée la première loi sur les assurances sociales. Le texte instaurant les assurances sociales fut adopté par le Parlement en 1930, sous l’impulsion du ministre du travail de l’époque, Pierre Laval, les alsaciens et les lorrains préservant leur régime dérogatoire. Ce fait d’histoire est souvent ignoré, ledit Pierre Laval ayant fini sa carrière politique devant un peloton d’exécution en 1945.

 

Le régime local

          Le régime local a survécu à toutes les transformations de la protection sociale, et notamment à la création de la sécurité sociale en 1945. Ce régime concerne aujourd’hui seulement les salariés du secteur privé appartenant à des entreprises dont le siège se trouve dans l’un des 3 départements concernés, et les retraités, soit 2,2 millions de personnes au total. En revanche, les exploitants agricoles, les indépendants ou les fonctionnaires n’en bénéficient pas. Le régime local offre une prise en charge des dépenses de santé jusqu’à 100 % du tarif conventionnel pour les dépenses hospitalières (y compris le forfait journalier) et 90 % pour les soins ambulatoires. Le conseil d’administration du régime local, qui bénéficie d’une certaine autonomie pour la gestion de la partie « complémentaire », a souhaité en effet conserver un ticket modérateur pour les actes médicaux, pour 10 % des honoraires.

Le financement des prestations est assuré par une cotisation de 1,4% du traitement brut ou de la pension. Concrètement, le prélèvement de cette cotisation est assuré comme les autres cotisations sociales directement par l’Urssaf, les assurés sociaux n’ayant qu’un seul interlocuteur pour leurs remboursements. Les personnes qui le souhaitent peuvent se doter d’une complémentaire pour les prestations qui ne font pas partie du panier de soins ; honoraires du secteur II, suppléments « chambre seul », soins de pédicurie, de médecines complémentaires…

Malgré la quasi gratuité des soins, les dépenses par habitant des personnes du régime ne sont pas supérieures à celle que l’on observe dans les autres départements. La proportion de personnes sous secteur II est plutôt plus élevée en Alsace et moins élevée en Moselle, mais il s’agit en réalité d’un indicateur du niveau de vie des populations.

 

Comme le souligne les auteurs du  rapport de la Cour des compte (2011), « le régime local doit sa longévité à l’attachement historique et culturel des populations alsaciennes-mosellanes à leur régime d’assurance maladie complémentaire obligatoire… ». Il constitue à ce jour un véritable laboratoire pour penser demain une éventuelle gestion intégrée « assurance maladie et complémentaire de santé ». Les auditeurs de la Cour des comptes s’interrogeaient sur le régime local comme « source d’inspiration pour des évolutions plus générales de l’assurance maladie ». C’est le moment de passer aux travaux pratiques.