PRIORITÉS SANITAIRES

Faut-il "genrer" la prévention ?

La crise de covid19 a provoqué plus de décès masculins que de décès féminins. Mais la surmortalité masculine n'est pas spécifique au covid19. Laure Dasinières et Antoine Flahault s’interrogent dans « Slate » sur la nécessité de "genrer" la prévention, c'est-à-dire de mener des actions de santé publique ciblées selon le genre.

L’importance des mesures protectrices à l’encontre des femmes s’explique par le souci du législateur de protéger leur fonction reproductive. Et la mortalité maternelle a été pendant longtemps un fléau.

En revanche, à aucun moment, la sur morbidité des hommes n’est questionnée par les politiques publiques.

La surmortalité masculine liée au covid

En mars 2022, deux chercheurs de l'Institut national d'études démographiques (INED) ont mis en évidence la surmortalité masculine liée au Covid, tout particulièrement à partir de 55 ans. Pour Gilles Pison et France Meslé (Ined), cette surmortalité pourrait s’expliquer par une plus grande exposition au risque, du fait de leurs comportements – moindre respect des gestes barrière, plus grande interaction sociale, moins de télétravail – et aussi de comorbidités (hypertension, diabète), plus fréquentes chez eux à partir de la cinquantaine, qui entraîneraient une plus grande létalité (risque de mourir de la maladie quand on est atteint). 

la surmortalité masculine concerne toutes les principales causes de décès

Mais cette surmortalité masculine n’est pas spécifique au covid19 et concerne toutes les principales causes de décès (voir ci-dessous). L’espérance de vie des femmes est ainsi supérieure à celle des hommes de 5,9 années. On entend dire parfois que les femmes ont une durée de vie plus longue mais en plus mauvaise santé. En réalité, l’espérance de vie sans incapacité à 65 ans - qui correspond au nombre d’années que peut espérer vivre une personne sans être limitée dans ses activités quotidiennes - est de 12,1 ans pour les femmes contre 10,6 ans pour les hommes (DREES).

TAUX COMPARATIF DE MORTALITÉ – France (2020)

Source : Causes médicales de décès – Inserm – CépiDC. Le taux standardisé de décès selon l’âge correspond à la proportion fictive de personnes décédées dans l’année si la population avait la même structure d’âge qu’une population de référence, ici la Euro
Source : Causes médicales de décès – Inserm – CépiDC. Le taux standardisé de décès selon l’âge correspond à la proportion fictive de personnes décédées dans l’année si la population avait la même structure d’âge qu’une population de référence, ici la Euro

Les femmes sont biologiquement moins fragiles que les hommes. Mais la plus faible mortalité des femmes s’explique aussi par un rapport profondément différent au corps et à l’hygiène. Avec l’apparition de leurs premières règles vers l’âge de 12-13 ans, les filles sont amenées à prendre soin de leur corps très tôt, un apprentissage qui intervient (ou non) avec le soutien maternel. Pour les mêmes motifs les femmes sont amenées à fréquenter leur médecin ou leur gynécologue, tout au long de leur vie féconde… mais aussi après. Le recours aux soins s’inscrit donc très rapidement dans leur agenda personnel. Les différentes enquêtes épidémiologiques confirment ce constat : les femmes déclarent plus de maladies que les hommes ce qui peut s’interpréter comme une résistance plus grande des hommes à se déclarer malades (HAS).

les violences subies par les jeunes garçons sont INSUFFISAMENT prises en compte

Source : Baromètre santé 1997-1998 (12-19 ans)*
Source : Baromètre santé 1997-1998 (12-19 ans)*

Tout au long de la vie, les hommes prennent plus de risques que les femmes, ce qui explique la surmortalité masculine par morts violentes (accidents, suicides). L’heure est à dénoncer les violences faites aux femmes, dont il n’est pas question de nier l’importance. Mais les violences subies par les jeunes garçons, presque deux fois plus fréquentes que celles subies par les filles (voir ci-dessous), ont bien du mal à être prises en compte. Sans doute parce que la violence est constitutive des stéréotypes masculins. « Auteurs » de violences à l’encontre des femmes, les hommes ne peuvent être reconnus comme « victimes » !

Les hommes ont plus fréquemment des comportements nocifs pour la santé aussi bien en matière de tabagisme que de consommation d’alcool ou de nutrition. Dans ce contexte, les hommes ont davantage de comorbidités –diabète, hypertension, maladies cardio-vasculaires, dyslipidémies, – qui les exposent davantage aux risques de formes graves de Covid, mais aussi à une plus grande fréquence des cancers. Leurs problèmes de santé trouvent aussi leur origine dans leurs conditions de travail, les hommes étant exposés aux emplois les plus pénibles.

faut-il genrer la prÉvention ?

Laure Dasinières et Antoine Flahault (professeur de santé publique à Genève) s’interrogent dans « Slate ». Faut-il « genrer la prévention, c'est-à-dire mener des actions de santé publique qui soient plus ciblées selon le genre » sans y apporter de réponse. Il est vrai que ce questionnement est quasiment absent de la littérature scientifique. Les questions de genre y sont abordées généralement sous l’angle des minorités sexuelles et des personnes qui souhaitent changer de sexe.

Dans un ouvrage récent « Médecine générale pour le praticien", destiné aux internes de la filière de médecine générale et aux praticiens, six titres parmi les 60 chapitres concernent des « femmes » ou des « patientes ». Dans tous les autres chapitres, le mot « patient » concerne indifféremment les deux sexes. À aucun moment, la surmorbidité des hommes ne « fait problème ».

La Haute autorité de santé y a consacré un rapport entier – Rapport sexe et genre, et santé -. Comme le fait remarquer la HAS, « la santé des femmes a fait l’objet d’une attention particulière, liée à une surprotection de la part du législateur qui a longtemps interdit aux femmes certaines activités en suivant une logique de protection de la mère (droit du travail, essais cliniques, conscription, alcoolisme...) ». L’importance des mesures protectrices à l’encontre des femmes s’explique par le souci du législateur de protéger leur fonction reproductive. Et la mortalité maternelle a été pendant longtemps un fléau. En revanche, à aucun moment, la sur morbidité des hommes n’est questionnée par les politiques publiques.

les hommes victimes des stéréotypes de la masculinté

Laure Dasinières et Antoine Flahault ont fait un premier pas en questionnant les politiques de santé selon le genre. Mais il n’est pas sûr que ce soit suffisant pour qu’une réflexion collective s’engage sur ces questions. Des émissions de télévisions sont consacrées aux inégalités de santé dont souffriraient les femmes, qui ne s’appuient sur aucune preuve scientifique. Le mensuel d’Harmonie mutuelle « Essentiel santé magazine » vient lui aussi de titrer sur les inégalités de genre dont sont victimes les femmes (mars 2023).

« Ainsi, alors même que les résultats de santé des hommes sont empiriquement plus mauvais, les considérations y afférant sont absentes d’une loi de santé qui entend, entre autres, résorber les inégalités de santé » affirme la HAS. Au niveau international, lorsque l’on compare les résultats de santé selon le sexe, la France est particulièrement mal placée, par rapport au reste de l’Union européenne.

Les hommes sont - pour leur santé - victimes des stéréotypes de la masculinité. La différenciation sexuée de la prévention devrait figurer au rang des priorités.


POUR EN SAVOIR PLUS

  • BAROMÈTRE SANTÉ JEUNES 1997/1998 - Plus de 4 000 adolescents de 12 à 19 ans, répartis sur l’ensemble du territoire national, ont été interrogés dans leur foyer, après tirage au sort de leur numéro de téléphone. Le Baromètre santé jeunes 97/98 aborde les connaissances, opinions, attitudes et comportements des 12-19 ans liés aux grands thèmes de santé qui les concernent : nutrition, sport, sexualité, violence, suicide, accidents et consommation de tabac, d’alcool ou de cannabis. Une attention particulière a été portée à l’environnement du jeune (pairs et adultes), à sa qualité de vie et à sa perception subjective de la santé. L’enquête Baromètre santé jeunes (12-19 ans) 1997-1998 n’a pas été renouvelée.

François Tuffreau, en collaboration avec le Pr Jean-Paul Canevet

publié le 22 mars 2023



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