POLITIQUES DE SANTÉ

Comment sauver la psychiatrie ?

Boris Nicolle, jeune psychiatre hospitalier au centre hospitalier de Pau (64) réussit dans son ouvrage « Réinvestir la psychiatrie, une urgence sanitaire et démocratique » à penser l’organisation de la psychiatrie de demain dans des termes qui font mouche. « Qu’il est réconfortant de lire tant de constats pertinents et de propositions finement ciselées sous la plume d’un tout jeune psychiatre. », affirme Michel Laforcade, ancien directeur d’ARS, à propos de ce document inédit.

Boris Nicolle
Boris Nicolle

Actuellement, la délégation ministérielle à la psychiatrie et à la santé mentale comprend cinq personnes !

 

L’hôpital psychiatrique agit comme un aimant, attirant constamment l’attention des soignants, administrateurs et autorités (et des médias NDLR), et transformant les CMP et autres dispositifs ambulatoires en variables d’ajustement. Ce fut flagrant lors de la pandémie de Covid-19, marquée par un fort absentéisme soignant : lorsque le personnel à l’hôpital manque, ce sont les effectifs ambulatoires qui viennent remplacer, quitte à fermer une équipe mobile ou un CMP.

Les quatre niveaux de l'organisation territoriale

         À la base de cette réflexion, le praticien de Pau fait référence tout d’abord aux quatre fonctions de la psychiatrie telles qu’elles ont été définies dans un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en 2017 (voir ci-dessous). Sur la base de cette conception, Boris Nicolle dessine une organisation découpée en quatre étages : le local, le départemental (PTSM), le régional (ARS) et le national.

  • Le premier niveau correspond à un espace géographique réduit (le secteur ou un regroupement de plusieurs secteurs), échelon qui participe surtout aux fonctions de soins et d’urgence, en coopération avec les autres secteurs. Il recoupe le périmètre du Conseil local de santé mentale (CLSM) et en est l’interlocuteur naturel. Cet échelon permet également des partenariats locaux à taille humaine, par exemple sur des actions de prévention ou de déstigmatisation.
  • Le deuxième niveau est celui des Plan territoriaux de santé mentale (PTSM), élaborés en général au même niveau que l’organisation territoriale des ARS (Direction départementale ARS)-DDARS) ou que les Conseils départementaux. Initiés depuis 2016, les PTSM sont le document de référence de l’organisation des soins en psychiatrie. Mais ce modèle se rajoute à un ensemble d’instruments de planification et d’organisation déjà bien encombré : Projet régional de santé, Groupement hospitalier de territoire, Communauté psychiatrique de territoire, Pôle hospitalier, les périmètres de ces différents instruments se chevauchant sans se recouper. Si bien que l’organisation actuelle est devenue illisible. Sans oublier que l’élaboration de ces différents documents mobilisent des moyens humains non négligeables et notamment du temps soignant.
    L’instauration du PTSM reste une innovation majeure, car elle laisse, au moins dans la loi, une grande liberté d’action aux acteurs de terrain. Mais Boris Nicolle propose d’aller plus loin, le PTSM devenant le maillon central (et unique ?) de l’organisation territoriale de la psychiatrie. Sa taille permettrait théoriquement l’implantation de l’ensemble des dispositifs spécialisés inclus dans le « panier de soins ». La plus grande innovation serait de confier aux Comités de pilotage des PTSM (dont la composition serait élargie) le soin de répartir les budgets entre les différents acteurs de santé, une mission qui relève aujourd’hui des ARS.
  • En conséquence, les missions des ARS, et de leurs délégations départementales, seraient profondément revues. L’ARS deviendrait le lieu de partage des expériences et des savoir-faire tout en assurant la régulation des moyens alloués aux différents PTSM d’une même région.
  • Le quatrième niveau est celui pour lequel les propositions de B. Nicolle restent les plus floues. Au niveau national, certains imaginent une agence spécialisée comme pour la lutte contre le cancer (Institut national du cancer), seul programme national qui bénéficie d’une agence dédiée. D’autres envisagent un élargissement de la délégation ministérielle qui deviendrait interministérielle... L’échelle nationale a vocation, selon Boris Nicole, à définir l’organisation et les moyens de la psychiatrie, à fixer et allouer les moyens financiers afférents, à garantir l’exécution des politiques décidées et en évaluer l’efficacité, tout en étant un espace de ressources pour les acteurs de terrain, sur les pratiques comme sur les organisations. Le niveau national est aussi l’interlocuteur des différentes institutions impliquées sur le sujet de la psychiatrie.
    Ces fonctions sont actuellement réparties entre de multiples instances : la délégation ministérielle à la psychiatrie (F. Bellivier), qui comprend cinq personnes, et dont l’action n’a actuellement aucune visibilité (aucun site internet dédié, malgré la multitude des actions lancées par cette instance), l’Agence nationale pour l’accompagnement à la performance (ANAP), qui a « récupéré » l’ancienne mission santé mentale, le Comité Stratégique de la Santé Mentale et de la Psychiatrie (CSSMP), animée par la DGOS, et la Commission nationale de la psychiatrie. Il faut également rajouter dans cette liste les bureaux de la DGS et de la DGOS qui se consacrent à ces questions.
    "Au regard de ces missions et des propositions formulées dans ce rapport, il est proposé la création de deux entités en s’appuyant au maximum sur les structures déjà existantes : un décideur politique et une instance de dialogue et d’expertise".

L’hôpital est une parenthèse dans la prise en charge,

dont le centre reste le lieu de vie du patient

 B. Nicolle retient quatre priorités pour améliorer le parcours de soins des patients :

  •  Le rétablissement comme boussole
  • Sortir de l’hospitalisation
  • Pour des soins pertinents et gradués
  • Diminuer le recours à l’isolement et à la contention.

        Depuis plusieurs années, la notion de rétablissement s’impose comme un nouveau paradigme en psychiatrie. Il s’agit de laisser à la personne concernée un pouvoir d’agir et une autonomie, en s’appuyant sur ses attentes vis-à-vis des soins, ses projets, ses besoins et ses ressources. Il s'agit de dépasser un modèle médical qui s’attachait à traiter les symptômes et avait pour finalité la guérison. Plus que la guérison, ce sont la qualité de vie de la personne et le respect de son autonomie qui importent. Cela impose une écoute attentive, une personnalisation des soins et un changement de posture. 

         De nombreux services s’inspirent déjà de cette manière de "soigner". En revanche, il n’y a pas consensus quant à la politique en matière d’hospitalisation des patients. Face à la crise actuelle, c'est une forte demande d'augmentation des lits d'hospitalisation qui prédomine. Ce n’est pas la priorité de Boris Nicolle qui propose de recentrer l’hôpital sur ses fonctions. Selon le praticien pallois, « l’augmentation du nombre de lits en psychiatrie ne serait pas une bonne nouvelle, mais un constat d’échec : cela signerait l’incapacité à soigner ailleurs qu’à l’hôpital ».

« L’hôpital psychiatrique agit comme un aimant, attirant constamment l’attention des soignants, administrateurs et autorités (et des médias NDLR), et transformant les CMP et autres dispositifs ambulatoires en variables d’ajustement. Ce fut flagrant lors de la pandémie de Covid-19, marquée par un fort absentéisme soignant : lorsque le personnel à l’hôpital manque, ce sont les effectifs ambulatoires qui viennent remplacer, quitte à fermer une équipe mobile ou un CMP. Sur le plan sanitaire, c’est un contresens. Moins il y a de soins extrahospitaliers, plus les personnes sont prises en charge tardivement et dans des situations complexes et, donc, nécessiteront une hospitalisation, qui sera d’autant plus longue qu’il n’y a pas de soins ambulatoires pour accompagner la sortie… Ce cercle vicieux fait de l’hôpital le lieu de soins central, centré sur lui-même, délaissant le travail avec les partenaires (médicosociaux, sociaux, le secteur libéral, les autres spécialités, les espaces de prévention étudiant ou scolaire…). Les conséquences pour la population sont lourdes : retard d’accès aux soins, complications, recours accru aux hospitalisations sans consentement et aux urgences, augmentation des coûts. Il est donc urgent de questionner le rôle et l’organisation des hôpitaux psychiatriques. »
… « Hormis certaines unités surspécialisées, l’hospitalisation en psychiatrie est utile lors des situations de crise et doit être la plus brève possible. Elle est le lieu de soins intensifs, avec du personnel formé et disponible et une offre thérapeutique complète. Il s’agit d’une parenthèse dans la prise en charge, dont le centre de gravité reste le lieu de vie de la personne. Il est urgent que l’hôpital psychiatrique se recentre sur ses missions. »

Recentrer l’hôpital sur ses missions, cela implique une nouvelle organisation dite de « soins pertinents et gradués ». Le premier niveau s’organiserait autour des médecins généralistes et des pédiatres, le second impliquerait les psychiatres libéraux, salariés et exerçant dans le public, ainsi que l’ensemble de leurs partenaires et le troisième niveau prendrait en charge les situations les plus complexes nécessitant une évaluation poussée et/ou un environnement de soins particulier. Une inversion de la pyramide qui ne correspond pas aujourd’hui à la vision de la majorité des acteurs !

Rendre les métiers attractifs

Les unités de psychiatrie font face, comme beaucoup d’autres services hospitaliers, à un mouvement de « grande démission » des soignants, à tous les échelons. Une littérature informelle et abondante s'est interrogée sur les difficultés de l'hôpital. Boris Nicolle met en avant les questions relatives à la bureaucratisation des soins, les tâches de secrétariat, de reporting, de traçabilité ayant pris une place démesurée dans le temps de travail, constat qui touche aussi bien les infirmiers que les médecins :

« La priorité pour l’infirmier en psychiatrie est de remplir les tâches quantifiables sur lesquelles il est attendu (check-list, inventaire, distribution de traitement, validation informatique des actes, tâches de secrétariat, rédaction de transmissions informatisées…). S’il a le temps et les compétences, il peut ensuite se consacrer aux soins. »
Quant aux cadres de santé, ils sont souvent déconnectés de leurs équipes, « trop souvent absents de leur service, réduits à relayer consignes et informations, à faire remonter rapport et indicateurs et à établir des plannings. Or, il est difficile d’assumer une véritable fonction de manageur dans ces conditions, alors même que les équipes s’élargissent, se diversifient et que cette fonction en devient d’autant plus critique. Cela impacte aussi la collaboration avec l’équipe médicale : leur absence des services et la priorité donnée aux tâches suscitées contribuent à distendre le lien entre le médecin chef de service et le cadre. Là où son rôle était d’être garant du bon fonctionnement du service, le cadre de santé devient progressivement un professionnel isolé et à l’écart du soin. ».

 

Les psychiatres sont aussi touchés par ce mouvement de fuite de l'hôpital, avec un nombre important de postes vacants lors des choix de spécialité des étudiants en médecine. Mais le contexte est favorable pour que la situation s'améliore, juge Boris Nicolle, car l’ensemble des acteurs se mobilise actuellement sur le sujet.

Le contexte général n’a jamais été aussi favorable pour porter un projet de cette nature. Mais, pour le moment, manque la volonté politique.

        Certains diront que le rapport du Dr Nicolle rassemble des constats déjà effectués ou des innovations connues. C’est vrai ! Tout ce qui est proposé dans ce document existe déjà. L'intérêt du travail du jeune psychiatre est justement d'inventer un modèle qui s'appuie sur des pratiques déjà existantes. La difficulté est aujourd'hui de transformer ces pratiques innovantes mais peu répandues en une organisation nationale dont les acteurs partagent les mêmes principes d’organisation.

        Étant donnée la situation de crise que connaissent de nombreux services hospitaliers et le déficit d’attractivité auxquels ils sont confrontés, il est urgent d’agir. Cela passe notamment par l’adoption d’une loi cadre qui redéfinisse les priorités de l’organisation de la psychiatrie.  Le vote de cette loi et le suivi annuel par le Parlement permettrait un engagement financier significatif, et consignerait les engagements des pouvoirs publics et la réalité des évolutions de terrain. Il est urgent de sortir la psychiatrie française du marasme qu’elle traverse depuis plusieurs années et de donner de l'espoir aux jeunes professionnels pour un meilleur service à la population.

                 Comme le précise le Dr Nicolle, le contexte général n’a jamais été aussi favorable pour porter un projet de cette nature. Mais, pour le moment, manque la volonté politique.


* Les quatre fonctions de la psychiatrie, assignées par Boris Nicolle :

  • la fonction de soins convoque sur un territoire donné tous les dispositifs de soins, sectorisés ou non, public ou privé, permettant d’assurer une prise en charge coordonnée et de proximité des personnes souffrant de troubles chroniques -
  • la fonction d’urgence, filière intégrée et spécialisée regroupant la permanence des soins, l’évaluation en urgence (urgences générales, psychiatriques, équipes mobiles, accueil téléphonique et prévention du suicide…) et la prise en charge de l’urgence (unités de crise, structures résidentielles d’accueil de crise, par exemple) -
  • la fonction de soutien partenarial, qui vise à répondre aux besoins des partenaires dans le cadre d’espaces de contact et de dialogue identifiés (psychiatrie de liaison…) -
  • la fonction d’action inter-partenariale, qui se traduit par des actions conjointes qui ne sont pas forcément à l’initiative de la psychiatrie, mais auxquelles elle participe (prévention, réinsertion, réadaptation).


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