Moins de consultations en médecine générale pendant le confinement : esquisse d'une évolution des pratiques de consommation de soins ?

Le nombre de consultations en médecine générale et chez les spécialistes en ville et à l’hôpital a beaucoup baissé depuis le confinement : 30 à 40 % de baisse des consultations selon le président du conseil national de l’ordre des médecins interrogé par les Echos.

Le Dr Jean-Paul Canevet s'interroge sur cette réalité, et sur la demande de soins dans une société confinée.

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"C’est la mission des médecins du premier recours d’accueillir toutes ces demandes, de les écouter et de tenter de les comprendre pour les traduire-ou pas- en objet médical."

  • Le nombre de consultations en médecine générale et chez les spécialistes en ville et à l’hôpital a beaucoup baissé depuis le confinement : 30 à 40% de consultations en moins selon le président du conseil national de l’Ordre des médecins interrogé par les Echos. Le plan blanc qui impose aux hôpitaux de se concentrer sur les taches prioritaires fournit une explication pour les consultations hospitalières. En ville la baisse des maladies contagieuses saisonnières et des accidents de sport du fait du confinement ne suffit pas à expliquer cette diminution considérable des demandes de consultation. Les praticiens s’en inquiètent et pas seulement du point de vue de la baisse de leurs revenus : ils redoutent un retard de consultations nécessaires et la perte de chance que celui ci va induire pour les patients. Mais cette baisse des demandes est-elle vraiment une catastrophe sanitaire ? peut-on aussi la voir comme une occasion de réfléchir au cœur de métier des praticiens de soin primaire et comme une façon de répondre en partie à la crise de la démographie médicale ?
  • Les personnes qui ne consultent pas aujourd’hui alors qu’elles l’auraient fait en d’autres circonstances craignent de déranger les médecins supposés surchargés du fait du Covid ou redoutent de croiser le virus dans les salles d’attente. Parmi ces personnes il y en a, bien sûr, qui vont différer une consultation pour douleur thoracique qui sera trop tardivement identifiée comme infarctus, ou même quelques personnes qui vont négliger une fatigue révélatrice de leucémie qui sera diagnostiquée avec un retard très préjudiciable. Mais à côté de ces quelques cas dangereux, beaucoup de situations ne porteront pas à conséquence du point de vue de la perte de chance. Parmi les personnes qui ne consultent pas actuellement il y a celles qui présentent des pathologies à guérison spontanées, qui constatent qu’en quelques jours elles guérissent toutes seules sans avoir consulté. Il y a aussi les patients qui souffrent d’angoisses corporelles pour qui toute sensation corporelle inhabituelle est interprétée comme dangereuse et justifie une consultation qui malheureusement les rassurera rarement. Il y a encore les personnes âgées qui ne supportent pas les effets certes pénibles mais inexorables du vieillissement non pathologique. Victimes de la médicalisation du vieillissement elles espèrent vainement qu’un médecin pourra enrayer la perte progressive de leurs capacités. S’ajoutent à ces patients toutes les cibles de la médicalisation de la vie quotidienne qui ont l’illusion que la technique médicale résoudra leurs difficultés : les « phobiques sociaux » autrefois dénommés « timides », les personnes en deuil, les parents d’enfants turbulents maintenant nommés-parfois abusivement- porteurs de « troubles de l’attention avec hyperactivité », les salariés subissant des conflits du travail auparavant traités dans le cadre des rapports sociaux dans l’entreprise et maintenant médicalisés sous le vocable de « burn out », les patients confrontés à des crises existentielles vite qualifiées de « dépression » et redevables de médicaments antidépresseurs, les enfants en difficulté scolaire orientés vers des rééducations du fait de la carence de l’école à s’occuper des enfants à la traine.... Il y a enfin toutes les demandes de consultation liées à des obligations sociales, c’est à dire les certificats et attestations en tous genres, pour les assureurs, pour les clubs de sport, pour les employeurs, les écoles.... Parmi ceux-ci, certains qui attestent d’une pathologie et permettent aux demandeurs d’obtenir des avantages sociaux sont légitimes, mais tous les autres qui ont la prétention d’affirmer la bonne santé de quelqu’un constituent une sorte de fiction déresponsabilisante sauf pour le médecin signataire de l’attestation.
  • C’est la mission des médecins du premier recours d’accueillir toutes ces demandes, de les écouter et de tenter de les comprendre pour les traduire -ou pas- en objet médical. Et parmi les demandes ci-dessus certaines témoignent parfois d’une souffrance psychique à prendre en charge ou à orienter vers les spécialistes ou les plateaux techniques adaptés. Mais la plupart ne justifient pas une prise en charge dans le système de soin, et c’est le rôle du médecin traitant soit de contribuer à une éducation en santé qui dissuade ce type de demande, soit de les réorienter vers des ressources hors du système de soin.
  • Ces consultations qui n’ont pas lieu en ce moment incitent donc à réfléchir sur le cœur de métier de la médecine de soin primaire : maladies au stade de début, maladies aiguës ne nécessitant pas de plateau technique, maladies chroniques, traumatologie légère, prévention. Elles permettent d’imaginer un temps médical moins envahi par des tâches liées à des situations non pathologiques.
  • Rêvons un peu : la crise du CovID-19 pourrait être l’occasion d’une mutation de la consommation de soins de premier recours qui renverra le déficit démographique des médecins généralistes au rayon des vieux souvenirs. 

Dr Jean-Paul Canevet, enseignant de médecine générale retraité



Commentaires: 2
  • #2

    jp canevet (vendredi, 17 avril 2020 18:37)

    Merci à Georges Picherot pour ses commentaires ajustés. Bien sûr ma conclusion sur la démographie médicale était une figure de style un peu hyperbolique et voulait juste pointer un des éléments d'une solution dont les composantes sont complexes. Quand à la mobilisation des médecins libéraux moins occupés actuellement, elle est sollicitée depuis quelques jours pour renforcer les équipes médicales des EHPAD

  • #1

    PICHEROT Georges (vendredi, 17 avril 2020 10:59)

    Ce point de vue me semble très pertinent . J'y ajouterai deux nuances La première est la réponse désorganisée à la crise On voit en effet les déclarations des divers intervenants sur l'épuisement des personnels de santé des services qui accueillent les malades du COVID . Ils ont recours à des étudiants médecins , infirmiers etc qui vont aider ces services en difficultés . A aucun moment on ne parle d'une ressource en personnel de santé dans les rangs des médecins libéraux moins impliqués Ceci me semble significatif de l'hospitalocentrisme et de l’absence de réponse commune à une crise bien sur exceptionnelle mais qui révèle peut être une erreur d'orientation de nos pratiques (comme pour els maladies chroniques)
    La deuxième remarque concerne ce que dit JP Cannevet "une façon de répondre en partie à la crise de la démographie médicale " C'est probablement un peu rapide . En particulier cela ne résout pas le problème de répartition géographique des moyens .On verra après la Crise Covid les conséquences collatérales dans les zones démédicalisées . On connait déjà les énormes inégalités constatées avant la crise avec des zones abandonnées comme le 93 . Un rappel ..l'APHP avait prévu avant la crise le démantèlement de l’hôpital de Bondy !! jugé peu rentable . Cet hopital avait été créé dans les années 1975 pour répondre a une population croissante, en difficultés médicales et pour mieux répartir de l'offre de soin de l'APHP concentrée jusque là sur des hôpitaux prestigieux comme Necker, ou Laénnec ( avec une population en baisse et très favorisée) La politique de santé a changé entre temps !!!
    Merci pour cet éditorial