Un programme qualité efficience, sans signature

Dans le cadre de l’examen du projet de Loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), le Parlement vote chaque année l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) qui détermine l’essentiel des ressources allouées au système de soins et de santé. Parmi les annexes, figure le Programme de qualité et d’efficience maladie (PQE) qui rapproche les objectifs et les résultats des politiques de santé. Mais quelle est l’utilité de ce programme, qui déroule, à son tour, certains objectifs de santé, quelques mois après la publication de la Stratégie nationale de santé (SNS) ?

Un programme encadré par la loi

Le vote de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) constitue, chaque année, un moment clé dans la vie des institutions de santé. La LFSS détermine en effet les moyens alloués au fonctionnement du système de santé dans le cadre de l’ONDAM qui détermine l’essentiel de ses ressources. Pour le législateur, c’est aussi l’occasion d’introduire un certain nombre de mesures relatives aux droits sociaux. Le projet de loi 2019 prévoit ainsi d’améliorer les conditions de remboursement des soins dentaires, de l’optique, de l’audition, l’introduction d’une complémentaire santé à tarif réduit pour les bas revenus, l’alignement des droits sociaux des indépendants sur ceux des salariés pour les congés maternité, l’instauration de nouveaux examens de surveillance en santé…

La préparation et l’élaboration du projet de LFSS sont encadrées par une loi organique, c’est-à-dire une loi* qui, lors de son adoption, doit être soumise au préalable au Conseil constitutionnel. Dans la hiérarchie des normes, une loi organique est placée au-dessus des lois ordinaires. Autant dire qu’un ministre hésite avant de faire évoluer des textes issus d’une loi organique, car le chemin législatif est très long. Le projet de LFSS doit être accompagné, pour chaque branche de la sécurité sociale, d’un programme de qualité et d'efficience (PQE) qui comporte un diagnostic de situation appuyé notamment sur les données sanitaires et sociales de la population, des objectifs retracés au moyen d'indicateurs précis dont le choix est justifié, une présentation des moyens mis en œuvre pour réaliser ces objectifs et l'exposé des résultats atteints. Le PQE maladie 2019 propose ainsi un cadrage général dans lequel sont rassemblés un certain nombre de données sur la situation sanitaire et sociale. Sont ensuite déclinés une cinquantaine d’indicateurs (déterminés par qui ?) relatifs à la mise en œuvre des cinq objectifs assignés à l’assurance maladie :

  • Assurer un égal accès aux soins,
  • Développer les politiques de prévention,
  • Améliorer la qualité de prise en charge des patients,
  • Renforcer l’efficience du système de soins et développer la maîtrise médicalisée,
  • Garantir la viabilité financière de l’assurance maladie.

Quelle finalité ?

Grâce à la mine d’informations qu’il contient, le PQE constitue un document de référence pour tous ceux qui s’intéressent au suivi de la mise en œuvre des politiques de santé, même s’il faut clairement interroger sa finalité. Depuis 2004, il est écrit que la définition de la politique de santé est de la responsabilité de l’État. Celle-ci se décline dorénavant à travers la Stratégie nationale de santé au plan national, et le Projet régional de santé, en région. Pourquoi alors ajouter des objectifs supplémentaires dans le cadre du PQE alors que la SNS en contient déjà une foultitude, ce programme apparaissant d’une certaine façon comme superfétatoire par rapport à la SNS ? Il faut sans doute y voir une illustration supplémentaire du caractère bicéphale du pilotage de notre système de santé, avec un État qui décide et l’assurance maladie qui finance.

Un examen approfondi du PQE ne peut que conforter cette première impression, à travers quelques exemples. En effet, contrairement à ce qui est prévu dans la loi, le PQE ne mentionne à aucun moment les moyens et stratégies mis en œuvre pour atteindre les objectifs poursuivis. Ce ne sont pas d’ailleurs les seules données manquantes.

C’est le cas en particulier en matière d’accès aux soins, une priorité de l’action publique, sans cesse répétée ! Le nombre de généralistes libéraux continue son recul, la proportion de population vivant dans une zone marquée par un manque de praticiens ayant progressé de 6,6 à 8,2 % en un an. Sur le terrain pourtant, de nombreuses mesures ont été prises pour faciliter l’installation de généralistes dans les territoires en difficulté, mais il n'en est pas fait mention. Où en est la mise en place des Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP), modèle de référence des soins de premier recours ? 

Quatre type d'indicateurs sont relatifs aux données financières, politiques évaluées à travers la mise en oeuvre de plans d’économie, les récupérations sur tiers, et la lutte contre la fraude, sachant qu’en 2018, la maladie reste la seule branche de sécurité sociale déficitaire. En tant que citoyen, on ne peut être que favorable au souci de gérer au mieux l’argent public. Mais alors, il faut commencer par mettre à disposition, pour chaque région de France, des données relatives à la dépense de santé par habitant, pour que l’on puisse savoir dans quelle mesure les citoyens ont un droit de tirage égal selon l’endroit dans lequel ils habitent. Or ces données sont, elles aussi, absentes du PQE.  

Du bon usage des indicateurs

Plus généralement, on peut s’interroger sur le bon usage des 47 indicateurs du PQE. En effet, tant que ces données sont publiées essentiellement au plan national, personne ne se sent véritablement concerné. En revanche, quand est mis en évidence le fait que la prescription de génériques est beaucoup plus répandue dans une région que dans une autre, les citoyens et les professionnels peuvent s’en saisir. Et les exemples peuvent être multipliés en matière de bon usage des antibiotiques, de taux de couverture vaccinale... La publication systématique d’indicateurs à l’échelle des territoires est aussi une bonne manière de rendre crédible l’action publique en santé en redonnant confiance aux professionnels qui font évoluer leurs pratiques et aux populations qui peuvent elles aussi être acteurs de leur santé. 

Un objet administratif non identifié

Un autre fait illustre l’ambiguïté de cet objet administratif non identifié. En effet, le PQE n’a pas de signature, la manchette de couverture ne faisant mention d’aucun auteur. Pas de trace non plus d’un comité de pilotage ou d’un groupe de travail chargé de produire ce document. 

Enfin, il faut rappeler le contexte de publication de ce programme, joint en annexe du projet de LFSS. Ce document n’a fait l’objet d’aucun examen par l’Assemblée nationale, comme s’il n’y avait aucun lien entre ce programme et la LFSS, la production de ce programme apparaissant comme purement formelle. Comme on le sait, le travail parlementaire est concentré sur le vote des lois (plus de 500 au cours du quinquennat Hollande), pas sur l’évaluation des politiques publiques. Députés et sénateurs se plaignent d’un calendrier parlementaire contraint qui ne laisse aucune place à cette mission. Plus généralement la LFSS est essentiellement une loi de financement, dans laquelle on parle beaucoup des déficits ou des excédents de la sécurité sociale. Les questions de santé y sont noyées au milieu des articles de loi des quatre branches de la sécurité sociale et sont abordées essentiellement sous l’angle des droits sociaux. Le constat n’est pas nouveau ! Didier Tabuteau, juriste renommé qui préside dorénavant la section sociale du Conseil d’État, avait déjà montré que la LFSS ne permet pas d’interroger les politiques publiques en santé. Mais alors, qui s’en charge ? Prochaine échéance dans le suivi des politiques de santé, la publication de l’évaluation annuelle de la SNS dans les mois à venir… mais, là encore, sans débat devant la représentation nationale. Ainsi, les politiques de santé n’auraient vocation à être débattues qu’entre experts sans être portées sur la place publique ?

Consulter notre glossaire pour plus de définitions sur les termes utilisés : ONDAM, Stratégie nationale de santé, Loi de financement de la sécurité sociale.

 

*Article LO114-4 - Sont jointes au projet de loi de financement de la sécurité sociale de l'année des annexes :

- Présentant, pour les années à venir, les programmes de qualité et d'efficience relatifs aux dépenses et aux recettes de chaque branche de la sécurité sociale ; ces programmes comportent un diagnostic de situation appuyé notamment sur les données sanitaires et sociales de la population, des objectifs retracés au moyen d'indicateurs précis dont le choix est justifié, une présentation des moyens mis en œuvre pour réaliser ces objectifs et l'exposé des résultats atteints lors des deux derniers exercices clos et, le cas échéant, lors de l'année en cours. Cette annexe comprend également un programme de qualité et d'efficience relatif aux dépenses et aux recettes des organismes qui financent et gèrent des dépenses relevant de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (extrait).


Commentaires: 1
  • #1

    DELANOE (dimanche, 16 décembre 2018 18:20)

    En ces temps de gilets jaunes et de demande de plus de démocratie, cet article est le bienvenu; décidément l'évaluation des politiques publiques n'est pas dans les gènes de notre république jacobine, qui considère que les textes qui émanent des administrations centrales, voire du parlement ont un caractère sacré, auquel il n'est pas question de toucher.