POLITIQUE DE SANTÉ

La Stratégie nationale de santé

sous le feu des critiques

Sans portage politique, ni suivi opérationnel, la Stratégie nationale de santé 2018-2022 a eu un faible impact sur les pratiques des acteurs de santé, affirme la DREES dans son évaluation de la SNS. Mais la crise sanitaire n'explique pas tout. "Se doter d’une politique unique, à l’échelle d’un pays, rechercher une sorte de cohérence du tout, serait une entreprise relevant de la démesure, témoignerait même, pour les moins indulgents, d’un projet ou d’un esprit pathologique », affirmait déjà le Dr Lopez, inspecteur général, il y a plus de 10 ans. 

Au total, cette abondance de stratégies additionnées ne fait pas véritablement une politique de santé, si l’on entend par là un choix de buts et de moyens… Pourrait-il en être autrement ? Tant d’objectifs sont à retenir pour que chacun y trouve son compte.

Tant de particularités propres au dispositif de santé lui-même sont à prendre en compte, combinant des structures et des professionnels aux statuts différents, publics et privés, des métiers si nombreux, des formes multiples d’intervention (l’hôpital, l’ambulatoire, la prévention, la promotion de la santé, le médico-social, la sécurité sanitaire). Dans ces conditions, se doter d’une politique unique, à l’échelle d’un pays, rechercher une sorte de cohérence du tout, serait une entreprise relevant de la démesure, témoignerait même, pour les moins indulgents, d’un projet ou d’un esprit pathologique

Dr Alain Lopez, inspection générale.

La SNS s'est ajoutée à un édifice déjà complexe


Source : Santé à voix haute
Source : Santé à voix haute

              « La santé est sans doute l’un des domaines de l’action publique dans lequel la définition d’une politique est l’exercice le plus difficile », déclarait en 2010 Didier Tabuteau, dans un article relatif aux lois de santé publique. Aujourd’hui, la Politique de santé se décline à travers la « Stratégie nationale de santé (SNS) », dont les principes ont été affirmés par la loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016. La SNS détermine, de manière pluriannuelle, « des domaines d’action prioritaires et des objectifs d'amélioration de la santé et de la protection sociale contre la maladie ». Un volet de la SNS détermine les priorités de la politique de santé de l'enfant. Selon la loi, la mise en œuvre de la SNS fait l’objet d'un suivi annuel et d’une évaluation pluriannuelle, dont les résultats sont rendus publics. Mais le Parlement ne vote pas la SNS qui est adoptée par simple décret !

       La DREES, service des études statistiques du ministère de la santé, a été chargée d’évaluer la SNS 2018-2022, qui comprend une « analyse de la cohérence de la SNS avec les enjeux de santé et les plans et projets de santé, au niveau national et régional, ainsi qu’une analyse des résultats et des impacts de la SNS ».

             La SNS n’est pas née de toute pièce. Elle s'est ajoutée à une architecture déjà complexe. Les politiques de santé se sont incarnées depuis une vingtaine d’années en de multiples Plans et programmes de santé », construits autour d’un problème de santé identifié (cancers, nutrition, maladies rares, addictions, dépendance…). Mais derrière le modèle bien identifié et doté de moyens spécifiques du Plan de lutte contre le cancer ou du Plan nutrition, se cache des réalités aux contours particulièrement flous. En 2017, le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) a dressé un tableau très critique de la cinquantaine des plans et programmes de santé existants. « Refonder les politiques de prévention et de promotion de la santé – juin 2017 ».

« La prolifération des plans de santé publique, depuis une vingtaine d’années au moins, est problématique du fait du nombre mais également des caractéristiques mêmes de cette « programmation. Certains dispositifs, les « grands » plans ont toutes les caractéristiques d’une programmation… Ceux-ci ont quelques caractéristiques communes : préparés dans des conditions robustes, régulièrement évalués (d’un millésime à l’autre), adossés à une organisation véritable (en interministériel ou en étant confié à un opérateur dédié), surtout dotés de moyens conséquents (et reprenant les moyens disponibles dans le champ de la politique considérée) et ancrés dans une chronologie rigoureuse… À côté, quantité d’exercices présentent les propriétés inverses : conçus de façon stéréotypée pour répondre à telle ou telle injonction, sans durée et sans réelle consistance, mobilisant à la marge les moyens des organisations du champ considéré, désespérant les évaluateurs ou reléguant les tentatives d’évaluation à des analyses de mise en œuvre… »

      Au plan régional et local, les politiques de santé se déclinent essentiellement à travers les Projets régionaux de santé (PRS), arrêtés par les Agences régionales de santé (ARS). Actuellement, les ARS ont lancé les travaux de préparation pour les nouveaux PRS, qui sont adoptés pour une durée de cinq ans. En théorie, les ARS doivent tenir compte dans l’élaboration de leur PRS des objectifs de la SNS, des Programmes et plans nationaux de santé, de la Loi de financement de sécurité sociale…

LA SNS 2018-2022

        La Stratégie nationale de santé (SNS) 2018-2022 a été adoptée par simple décret, le 29 décembre 2017, sans vote du Parlement. Celle-ci est structurée autour de quatre axes (voir ci-dessous), qui se déclinent en 66 objectifs secondaires. La SNS contient également deux volets spécifiques (Corse, Outremer) et des dispositions complémentaires

  • Axe 1 « Mettre en place une politique de promotion de la santé, incluant la prévention,
  • dans tous les milieux et tout au long de la vie » ;
  • Axe 2 « Lutter contre les inégalités sociales et territoriales d’accès à la santé » ;
  • Axe 3 « Garantir la qualité, la sécurité et la pertinence des prises en charge à chaque
  • étape du parcours de santé » ;
  • Axe 4 « Innover pour transformer notre système de santé en réaffirmant la place des usagers ».

        Mais ces quatre axes n’ont pas connu le même devenir. Le Plan national de santé publique (PNSP), conçu par la Direction générale de la santé (DGS), est la déclinaison opérationnelle de l’axe I (prévention, promotion de la santé). Les contours de la mise en œuvre des autres axes sont en revanche beaucoup plus flous. Le HCSP (Haut conseil de santé publique) a, de son côté, noté les faiblesses relatives à la déclinaison concrète du volet complémentaire portant sur la politique de prévention à destination des enfants, des adolescents et des jeunes dans le PNSP.

On peut aussi s’interroger sur la portée de l’axe II « Lutter contre les inégalités sociales et territoriales d’accès à la santé », sachant que, dans ce domaine, les déterminants de santé les plus significatifs relèvent moins du système de santé lui-même que du système éducatif, des conditions de travail, de la distribution des revenus, de la qualité de l’habitat, du soutien familial…

 

La SNS peu connue des acteurs de terrain

      Au niveau local, la SNS n’a pas représenté un cadre d’action pour ces acteurs, contrairement aux Projets régionaux de santé qui, « dans une moindre mesure et dans les régions étudiées, ont semblé mieux connus et faire l’objet d’une meilleure appropriation ne serait-ce qu’à travers leur caractère opposable à l’égard des établissements de santé par exemple. Les PRS ont été explicitement déclinés, via les SRS, en feuilles de route opérationnelles (parfois opposables, pour les établissements notamment) et les actions qui en ont découlé ont elles-mêmes fait l’objet d’un suivi dans la durée ».

 

L'absence de portage politique

       Dans ces recommandations pour la future Stratégie nationale de santé, la DREES met en avant la nécessité de bénéficier d’un « portage de la SNS de haut niveau (cabinet du ministre) imposant un caractère interministériel du fait des liens avec les politiques de nombreux autres ministères ». Une manière indirecte de souligner le fait que ce soutien a fait défaut lors de la SNS 2018-2022.

      La SNS a d’abord souffert de l’absence de démarche de suivi spécifique. « Plus globalement, la DREES a constaté l’absence de suivi consolidé permettant d’avoir une vision globale et interministérielle des actions entreprises à l’aune de la SNS. Ainsi, par exemple, la mise en place du « 100 % santé » et la réforme de la complémentaire santé solidaire ont des comités de suivi dédiés, avec des indicateurs identifiés. De même, l’INCa (institut national du cancer) et la DGS ont un suivi étroit des plans cancers successifs. Mais, il n’existe pas de document consolidé recensant de façon exhaustive les différents plans et programmes nationaux portés par le ministère des Solidarités et de la Santé. En revanche, le suivi des indicateurs rattachés aux différents objectifs de la SNS a été rendu public via une application web dédiéeQuant à l’équipe projet chargée de l’élaboration de la SNS, elle n’a pas été maintenue. 

     Autre témoignage de l’absence de portage politique, le Comité interministériel de la santé (CIS), chargée de coordonner la mise en œuvre de la SNS, s’est réuni la dernière fois le 25 mars 2019, sous la présidence d’Édouard Philippe premier ministre, et avec la ministre de la santé de l’époque, le Pr Agnès Buzyn. Depuis, silence radio !

 

Le ministre des "urgences"

       Ce déficit de pilotage et de soutien a des causes profondes. Les difficultés de mise en œuvre de la SNS ne peuvent être mises seulement sur le dos de la crise sanitaire de Covid-19 qui a mobilisé les équipes de la DGS à temps complet pendant des jours et des nuits. Il est incontestable que la SNS est passée au second plan suite à la crise sanitaire. Les priorités ont changé ; le Ségur de la santé, les déserts médicaux, la pression qui ne faiblit pas dans les services d’urgences, la perte d’attractivité des établissements de santé, les négociations difficiles avec les médecins libéraux… Les ministres de la santé successifs gèrent, avant tout, les « urgences », dans tous les sens que l’on peut donner à ce terme. Dans ce contexte, les politiques de prévention arrivent toujours au second rang, voire disparaissent de l’agenda politique. 

Quelle SNS pour demain ?

        Le rapport d’évaluation de la DREES comportait une dimension prospective, un certain nombre de préconisations ayant été effectuées pour dessiner les contours de la prochaine SNS. Les échanges menés par la DREES ont mis en évidence la coexistence de différentes visions de la SNS. Un premier point de clivage apparait quant au périmètre de la Stratégie nationale de santé. Pour certains, la couverture exhaustive des champs de la santé représente la force d’une stratégie d’ensemble. D’autres en revanche privilégieraient un champ plus restreint avec quelques grandes orientations stratégiques clés.

Extrait des recommandations de la DREES

 

« Certains acteurs jugent le niveau de détail de la SNS trop élevé pour un cadre général, alors que d’autres l’estiment insuffisant ;

• l’horizon de cinq ans, aligné sur un mandat présidentiel, est jugé adapté pour certains acteurs, trop court pour d’autres ;

• la couverture exhaustive des champs de la santé par la SNS représente la force d’une stratégie d’ensemble pour certains acteurs, alors que d’autres privilégieraient un champ plus restreint avec quelques grandes orientations stratégiques clés ;

• certains acteurs regrettent que la SNS n’ait pas été accompagnée de financements pour faciliter sa mise en œuvre alors que d’autres estiment que la SNS demeure un cadre général et de long terme, qui ne doit pas nécessairement intégrer d’éléments relatifs aux moyens financiers mobilisés ;

• enfin, la SNS s’engage parfois sur des dimensions trop opérationnelles pour certains acteurs interrogés alors que d’autres souhaiteraient justement que la SNS descende systématiquement jusqu’au niveau de la mise en œuvre opérationnelle.

     Ce débat n’est pas nouveau. Didier Tabuteau considérait la « politique de santé », dans la note déjà citée, comme une démarche d’intégration, au sens mathématique du terme, des actions et des dispositifs concourant à la protection de la santé. Le Dr Alain Lopez, inspecteur général, développait en 2010 une vision complétement opposée.

« Au total, cette abondance de stratégies additionnées ne fait pas véritablement une politique de santé, si l’on entend par là un choix de buts et de moyens… Pourrait-il en être autrement ? Tant d’objectifs sont à retenir pour que chacun y trouve son compte. Tant de particularités propres au dispositif de santé lui-même sont à prendre en compte, combinant des structures et des professionnels aux statuts différents, publics et privés, des métiers si nombreux, des formes multiples d’intervention (l’hôpital, l’ambulatoire, la prévention, la promotion de la santé, le médico-social, la sécurité sanitaire). Dans ces conditions, se doter d’une politique unique, à l’échelle d’un pays, rechercher une sorte de cohérence du tout, serait une entreprise relevant de la démesure, témoignerait même, pour les moins indulgents, d’un projet ou d’un esprit pathologique. » Dr Alain Lopez, inspecteur général - Structurer la politique nationale de santé, une ambition raisonnable - 2012/3 (Vol. 24), pages 241 à 251.

     Ce débat est d’autant plus vif que le périmètre d’action des politiques de santé s’est élargi au fil du temps, notamment sous l’impulsion des enseignements de l’OMS (« la santé dans toutes les politiques », « one health »). Cet élargissement des champs d'action nécessite d'ailleurs une politique interministérielle. Or, le caractère opérationnel de ce cadre de pensée, à l’échelle d’une population de 67 millions d’habitants reste à démontrer.

         Didier Tabuteau a identifié six champs d’action (voir ci-dessous). Or ces différentes composantes ne s’appuient pas sur les mêmes leviers et le même calendrier. Rechercher de la cohérence dans les différents champs d’action publique est une nécessité. Mais rien n’oblige à concevoir dans un document unique une stratégie nationale de santé qui couvre tous ces champs :

  • La gestion des urgences sanitaires (crise, géopolitique)
  • La régulation des acteurs de santé (démographie, formation, planification, qualité)
  • La promotion des priorités sanitaires (plans et programmes…)
  • La cohésion de l’assurance maladie (égal accès, adaptation, maîtrise)
  • L’intégration des externalités sanitaires (transports, logement, industrie…)
  • L’organisation de la démocratie sanitaire (droits, débats, transparence…).

       Avant de bâtir un nouveau modèle, faudrait il au préalable faire le bilan de l’existant. Comme nous l’avons déjà souligné, la SNS a été instituée sans que l’on se préoccupe de la cohérence entre les outils existants : Plans et Programmes nationaux d'un côté et Projets régionaux de santé de l'autre. Parmi ces multiples outils, certains ont montré leur efficacité, mais le bilan du HCAAM a montré qu’il y avait aussi des « marges de progrès ». Mais notre capacité collective à réinterroger systématiquement les dispositifs qui n’ont pas montré leur utilité semble limitée.

      Parmi les différentes « visions » de la SNS (couverture exhaustive des champs de la santé, ou champ plus restreint avec quelques grandes orientations stratégiques) dessinées par la DREES, on ne sait laquelle l’emportera. La définition d’une politique de santé s’impose par la nécessité de trouver un équilibre entre des besoins de santé illimités et des moyens financiers et humains restreints. Un équilibre particulièrement difficile à atteindre, d’autant que la crise sanitaire a profondément modifié les priorités. Les difficultés de l’organisation des soins reviennent de nouveau au centre de l’agenda politique.


POUR EN SAVOIR PLUS

François Tuffreau

publié le 28 février 2023



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