SATURATION DES URGENCES

Le plan « Braun » relance le débat sur les recours considérés comme « inappropriés » aux services d’urgences

Les services d’urgence (SU) sont dorénavant chargés de « filtrer » l’accès aux urgences, en fonction des besoins de santé des patients. Après des années de croissance continue, la finalité des SU est remise en cause ; les services d'urgences n’ont plus vocation à être le dispensaire général chargé d’accueillir tous les problèmes de santé 7 jour sur 7, 24h/24 h.

Combien de recours inappropriés ?

     Dans son catalogue de mesures destinées à freiner l’accès aux urgences, le Pr Braun parie d’abord sur une meilleure information des patients « pour un bon usage des urgences ». Des campagnes d’information vont être diffusées pendant l’été. L’idée n’est pas nouvelle mais les nombreuses campagnes menées depuis plusieurs années, aussi bien au plan local que national, ont eu jusqu’à présent peu d’effet.

     En réalité, les patients se tournent en général vers les urgences, non pas parce qu’ils sont mal informés, mais parce que les urgences sont la seule porte ouverte, notamment en début de soirée et le week-end. Les patients savent qu’ils pourront y trouver un plateau technique plus ou moins complet, avec la possibilité en quelques heures de bénéficier de plusieurs avis médicaux spécialisés, et des actes de biologie ou d’imagerie nécessaires, ce qui est impossible en ambulatoire.

     Toute campagne visant à favoriser le bon usage des urgences repose aussi sur l’idée qu’une proportion non négligeable de patients « n’ont rien à faire aux urgences ». On parle ainsi de recours « inappropriés ». Or, ce constat fait débat sur le plan scientifique, car les études internationales sur le sujet offrent des résultats contradictoires, en fonction de la méthode employée. Selon un travail plus récent menée aux hôpitaux de Paris, les passages « inappropriés » représenteraient de 13,5% à 27,4% des passages en fonction de la définition retenue, la proportion de recours inappropriés diminuant avec l’âge.

      Selon cette étude, 10% des patients déclarent avoir au recours aux urgences faute de disponibilité de médecin généraliste en ville. Actuellement, 6 millions de français n’ont pas de médecin traitant, la moitié ayant vu leur médecin cessé leur activité. L’Observatoire régional des urgences de la région Pays de la Loire a mis en évidence des écarts particulièrement importants en termes de taux de recours aux urgences selon les territoires, les taux les plus élevés correspondant aux zones de faible densité médicale.

         Une autre approche de type qualitative (par entretiens) a été effectuée à propos des recours dits « inappropriés » auprès d’unités d’urgences pédiatriques dans un CHU. Pour les parents rencontrés, les services d’urgences représentaient l’idéal de la compétence attendue pour susciter la confiance. Le verbatim des propos des parents concernés éclaire la situation actuelle : « Ils sont à la pointe… ils sont habitués, c’est le CHU d’une grande ville… C’est là où il y a les personnes les plus compétentes… les plus passionnées » aussi qui ont « vraiment bien ausculté de partout, du coup ça m’a rassuré, là c’est sûr qu’il n’y avait rien ». La visibilité et l’accessibilité étaient aussi plébiscitées, en opposition à l’indisponibilité de l’offre de soins ambulatoires.

" Appelez le centre 15 avant de se rendre aux urgences " : une situation encore peu fréquente

     D’après une enquête de la DREES (2013), seulement 15 % des patients s’adressent aux urgences, sur le conseil du SAMU ou des sapeurs-pompiers, la majorité des patients venant de leur propre initiative sans passage par le médecin traitant (deux patients sur trois). Dans ce contexte, le Pr Braun souhaite inverser la tendance, en transformant les Centres 15 en véritables plateformes d’orientation des patients.

      En 2020, les centres 15 ont traité 27 millions d’appels, dont près de 20 % pris en charge par des médecins libéraux. Pour renforcer leurs moyens, diverses mesures sont prévues comme l’embauche de permanenciers (pour faire face à l’augmentation des flux d’appels téléphoniques), de meilleures rémunérations pour les médecins régulateurs…

      Aujourd’hui le modèle de référence destiné à orienter les usagers dans le système de soins est le Service d’accès aux soins (SAS), plateforme téléphonique commune au centre 15 et aux professionnels de santé libéraux. Mais ces structures innovantes ne sont pas assez avancées pour qu’on envisage leur généralisation à brève échéance. Pour assurer sa mission, le SAS doit disposer des disponibilités d’accueil des médecins traitants tout au long de l’année. Un vaste chantier !

Mesures temporaires ?

           Depuis des décennies, les politiques publiques ont fait le choix extrêmement couteux de privilégier le recours à l’hôpital, quel que soit le besoin de soins, ce qui a conduit à l’impasse que l’on connait actuellement. La mission Braun semble choisir une autre voie. Selon les vœux du nouveau ministre de la santé, les services d’urgences n’ont plus vocation à accueillir sans limite tous les patients qui se présentent, et ils doivent se concentrer sur ce qui fait leur plus-value.

            Dans l'immédiat, ils sont chargés de « faire le tri » entre les patients qui nécessitent une prise en charge immédiate et ceux qui peuvent être orientés vers un autre mode de prise en charge, parfois différé dans le temps. Ce "filtrage" existe déjà dans de nombreux services d’urgences. Il est effectué par les Infirmiers d’organisation de l’accueil (IOA) formés dans ce but, avec un encadrement médical. Les IOA réorientent, si nécessaire, les usagers vers leur médecin traitant, quand ces personnes en disposent, ou vers les Maisons médicales de garde (MMG) qui fonctionnent aux heures de permanences de soins ambulatoires (PDSA). Encore faut-il que les soins ambulatoires soient prêts à assurer cette prise en charge, notamment en dehors des heures d’ouverture des cabinets médicaux et/ou pour les patients sans médecin traitant. 

           On saura dans quelques semaines si ce nouveau modèle a réellement fonctionné, avec la mobilisation de toutes les parties prenantes, et sans mise en danger de la population.



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