Les urgences dans la tourmente

Un modèle en question ?

Depuis plusieurs semaines, de nombreux services d’urgences sont conduits, par manque de personnels soignants à freiner l’accueil des patients, voire à fermer leurs portes provisoirement. Responsables hospitaliers et libéraux s’affrontent par médias interposés sur l’origine de cette crise. Pour comprendre la situation actuelle, un petit retour en arrière est nécessaire.

Jean-François Mattei a instauré en 2003 une régulation unique des appels d'urgence sur le centre 15

      Il y a une vingtaine d’années, le 15 novembre 2001, débutait une grève des gardes de nuit des médecins généralistes, aboutissement d’un conflit entre les praticiens et le ministère de la Santé et les organismes de sécurité sociale. Le climat social s’était détérioré depuis les ordonnances Juppé d'avril 1996 instaurant la maîtrise médicalisée des dépenses de santé. Par ailleurs, les Préfets rencontraient de plus en plus de difficultés pour organiser la permanence des soins dans les secteurs de faible densité médicale (déjà !), les médecins concernés n’acceptant pas d’ajouter des nuits de garde à leur emploi du temps déjà très tendu.

     À cette occasion, pour la première fois dans leur histoire, les professionnels de santé (libéraux et salariés) ont commencé à « compter leur temps de travail » et à évaluer leur (confortable) rémunération au regard du temps de travail accompli. En parallèle, venait d’être votée la loi instaurant les 35 heures hebdomadaires dans les entreprises de plus de 20 salariés.

 

       Le ministre de la santé, le Pr Jean-François Mattei, décida d’instaurer par un décret daté du 15 septembre 2003, une régulation unique des appels d’urgence, assurée par le SAMU- centre 15. En même temps, le code de déontologie médicale était modifié, la participation à la permanence des soins étant dorénavant basée sur le volontariat des médecins libéraux. Ces nouvelles dispositions marquaient la fin d’un modèle d’organisation décentralisé de la permanence des soins qui reposait sur les professionnels de santé libéraux eux-mêmes, qui avait pourtant fait ses preuves pendant des décennies dans de nombreux territoires.

Les moyens des SAMU et des services d'urgences ont été considérablement renforcés

     Suite à ces dispositions, les services d’urgence et les centres 15 ont connu un développement sans précédent, comme on peut en juger dans le tableau ci-dessous (pour la période récente). Ces activités, qui occupaient une place tout à fait marginale dans le système hospitalier, sont devenues en quelque années l’épicentre de ce système avec, comme aboutissement, la reconnaissance de la médecine d’urgence comme une spécialité médicale à part entière (2015). L’année 2017 verra la première génération d’internes qui choisiront d’emblée la médecine d’urgence à l’examen classant national (ECN).

     En 2020, les urgences ont mobilisé au plan national 9 471 praticiens (équivalent temps plein), les SMUR, 2342, et les SAMU (centre 15) 682 soit au total près de 10 000 praticiens (ETP).

Les données de l’année 2020 n’ont pas été intégrées dans ce tableau à cause de la baisse du nombre de passages aux urgences pendant l’épidémie de Covid19.
Les données de l’année 2020 n’ont pas été intégrées dans ce tableau à cause de la baisse du nombre de passages aux urgences pendant l’épidémie de Covid19.

... et l'offre de soins de premier recours s'est contractée

           Parallèlement, l’offre de soins de premier recours s’est contractée sous la double influence d’une baisse des effectifs (voir graphique ci-dessus) conjuguée à un engagement professionnel des jeunes générations qui n’est pas de même nature que celui de leurs aînés.

Le recul démographique de la médecine générale va se poursuivre jusqu’en 2026, si l’on en croit les dernières prévisions de la DREES. Mais ces projections concernent l’ensemble des médecins « qualifiés en médecine générale » (environ 95 000) : on peut estimer qu’environ 30 % d’entre eux n’exercent pas en cabinet et s’orientent plutôt vers une activité hospitalière.

                Différentes études françaises et internationales ont montré que la facilité d’accès aux soins de premier recours est corrélée à une moindre fréquentation des urgences. En l’absence de médecin traitant, les patients n’ont donc comme seul recours le service d’urgences pour les besoins de soins non programmés.

 

Les Services d'accès aux soins (SAS) : la solution ?

         Les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs face à la croissance régulière de de la demande de soins non programmés et les expérimentations se sont multipliées sur le terrain, avec plus ou moins de succès. Dernière entreprise en date, les services d’accès aux soins (SAS).

Lorsqu’un patient a un besoin de soins, urgents ou non programmés, il appelle le SAS. Au sein de la plateforme téléphonique, un assistant de régulation médicale assure un premier décroché, et oriente l’appel vers la filière d’aide médicale urgente, ou vers la filière de médecine générale suivant le besoin. Dans ce cas-là, l’opérateur délivre les informations nécessaires au patient (par exemple, les coordonnées de la pharmacie de garde), ou oriente l’appel vers un médecin régulateur libéral. Après régulation et sur demande du médecin régulation, l’opérateur peut procéder à la prise de rendez-vous auprès d’un médecin généraliste de ville. Cette prise de rendez-vous passe par le biais d’une plateforme digitale nationale (https://sas.sante.fr/), interfacée avec les logiciels métiers des praticiens en ville. Les créneaux libres des praticiens doivent alors remonter automatiquement à la plateforme, ce qui permet à la régulation, via l’applicatif du logiciel métier du praticien, de positionner un rendez-vous pour le patient.

          En 2021, 22 sites pilotes ont été sélectionnés au niveau national pour tester cette organisation qui repose sur une collaboration étroite entre les praticiens hospitaliers (SAMU) et les libéraux. Pour fonctionner, cette plateforme doit bénéficier des créneaux horaires des médecins qui acceptent de prévoir dans leur agenda une plage pour ces consultations non programmées. L’inconvénient de ce modèle est qu’il concentre l’ensemble des appels pour des soins non programmés sur une même plateforme téléphonique, qui frise la saturation dans certains territoires aux périodes de pointe. Comme le considère la commission du Sénat « Hôpital : sortir des urgences », le service d'accès aux soins apparait comme un outil prometteur, mais qui doit faire l'objet d'évaluations précises avant d'envisager sa généralisation.

 

Conclusion

            L’augmentation rapide du nombre de passages aux urgences crée une pression dans les services d’urgence tant en termes d’accueil et de prise en charge des patients qu’en termes de soutenabilité du système de soins par leur coût élevé (IRDES). La crise actuelle est d'autant plus aigue que les deux années covid ont asséché certains établissements de santé qui fonctionnaient déjà en plein régime. Certains hôpitaux ne parviennent pas à compenser les départs de personnels soignants. En concentrant la régulation des appels de la permanence des soins sur le SAMU, et dans un contexte de démographie médicale très tendu, l’hôpital qui concentre la plus grande partie de la demande de soins non programmés est aujourd’hui asphyxié.

 

              Doit-on poursuivre dans la même voie vers un modèle qui n'est plus en mesure, aujourd'hui, de répondre à la demande de soins ? Comme le souligne l’Irdes, d’autres modèles existent et il faut peut-être aller voir à l’étranger. De nombreux pays investissent en effet dans le développement d’alternatives à la permanence hospitalière avec des centres de soins sans rendez-vous et ou des services d’appels centralisés qui permettent de limiter la pression sur les services d'urgences. Pas sûr toutefois qu’un tel modèle soit envisageable en France car les différentes parties prenantes ne souhaitent pas forcément l’émergence d’un modèle alternatif.

 

François Tuffreau



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