Mais pourquoi les français ont-ils

respecté les consignes sanitaires ?

Les Français ont une forte propension à ne pas respecter les consignes, notamment lorsqu’elles émanent de l’Etat, et la défiance envers les institutions y est nettement plus élevée que dans le reste de l’Europe. Dans ce contexte, pourquoi les français ont-ils globalement respecté les consignes sanitaires ? Pourquoi se sont-ils fait vacciner dans leur grande majorité, malgré un fort courant d’opinion hostile aux vaccins au début de l’épidémie ?

 

Benoit Giry

            Dans un entretien au « Monde », Benoit Giry , sociologue, lauréat de la Fondation des sciences sociales 2021, affirme « l’idée que les destinataires des politiques publiques ont longtemps été conçus comme un ensemble inerte sur lequel s’exerçait un pouvoir, est maintenant dépassée…. Ces interprétations ont l’inconvénient de reposer sur une représentation de la vie sociale qui me paraît schématique, voire factice : il y aurait d’un côté un État qui définit des consignes sanitaires et de l’autre des citoyens qui les recevraient individuellement. En réalité, une instruction gouvernementale n’est ni une donnée immédiate de la conscience ni une information reçue par des individus isolés : c’est un acte de langage que les acteurs commentent avec des amis et dont ils parlent en famille – et c’est en partie cette trame ordinaire de la vie sociale qui donne de la valeur à la consigne émise par l’Etat. On ne peut pas comprendre ce qui s’est passé au printemps 2020 si on ne tient pas compte de cette dimension interactive de la vie sociale : pendant le confinement, les Français ont accompli un puissant effort collectif de contrôle sur eux-mêmes, mais aussi sur autrui. »

 

     Pour construire sa démonstration, le sociologue a analysé un corpus de 363 000 tweets contenant le hashtag #restezchezvous. « Ces messages publiés entre l’annonce du confinement, le 16 mars, et sa fin, le 18 mai, ne sont pas forcément représentatifs de toutes les contributions ordinaires mais ils constituent la partie émergée d’un iceberg d’incitations mutuelles et de dénonciations des attitudes délétères, affirme Benoit Giry. « Pendant deux mois, alors que le confinement restait en tête des « trending topics » [les sujets les plus cités] de Twitter, une armée bureaucratique de réserve s’est mobilisée en diffusant des centaines de milliers de messages de santé publique sauvages incitant autrui à respecter les consignes sanitaires. »

     

Linda Cambon, docteure en santé publique et chercheure Insem, a une approche totalement différente pour répondre aux interrogations sur l’adhésion tardive des français à la vaccination. Dans son article publié sur Science direct, la chercheure pointe les méthodes très controversées de communication du gouvernement, basées sur la peur au moins dans un premier temps. Elle souligne la faible présence des sciences sociales dans le conseil scientifique gouvernementale alors qu’un des objectifs principaux des autorités sanitaires était de vouloir faire évoluer les « comportements » favorables à la vaccination. Grâce à une revue de la littérature scientifique et à partir de modèles théoriques, les chercheurs de l’équipe Inserm U1219 ont élaboré les stratégies centrales pour améliorer l’adhésion à la vaccination :

  1. Une communication « positive » autour de l’objectif d’immunité collective
  2. Organiser la vaccination avec les professionnels de terrain (et non en centres spécialisés)
  3. La mobilisation des leaders d’opinion, des citoyens et des médias,
  4. L’importance d’un accès rapide et gratuit à la vaccination.

On connait les raisons qui ont poussé le gouvernement dans un premier temps, à privilégier les centres de vaccination en préférence aux professionnels de terrain, pour des problèmes de conservation des produits à très basse température. Maintenant que ces questions logistiques ont été résolues, l’organisation de la vaccination repose sur des professionnels de santé de terrain (médecins généralistes, infirmiers, pharmaciens).

La mobilisation des « leaders d’opinion » est une option (axe 3) qui soulève de nombreuses questions. En effet, que signifie ce terme aujourd’hui ? Avec des médias et des programmes TV de grande diffusion qui invitent les experts les plus controversés pour faire du buz, qui diffusent à jet continu de l’information brute, non vérifiée, avec des réseaux sociaux qui permettent aux opinions les plus extrêmes de s’exprimer librement, et aux anti-vaccins de se fédérer, avec des scientifiques qui expriment des opinions opposées, et changeantes, où sont les leaders d’opinion ?

Les déterminants des hésitations face à la vaccination sont particulièrement nombreux et complexes, voire contextuels à certains territoires (Guadeloupe…), et les chercheurs n’ont pas fini d’explorer ce champ d’analyse pour contribuer à la décision publique.

 

·        #RestezChezVous, Twitter, les français et les françaises et le confinement (vidéo). Benoit Giry fait partie des lauréats de la Fondation pour les sciences sociales (2021).

·        Article de Lina Cambon, M. Schwarzinger, F.Ala Increasing acceptance of a vaccination program for coronavirus disease 2019 in france: a challenge for one of the world’s most vaccine-hesitant countries, Méthodes en recherche interventionnelle en santé publique (MeRISP), Centre Inserm U 1219, Santé des populations, Université de Bordeaux



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