Mission d'évaluation Covid19 :

Des préconisations pour réorganiser la santé publique

Didier Pittet, épidémiologiste suisse, a remis le 18 mai au président de la république, le rapport de la mission d'évaluation Covid, un bilan des forces et faiblesses de la stratégie française face à la crise sanitaire. La mission d’évaluation a élaboré 40 propositions visant à introduire des changements significatifs dans l’organisation de la santé publique en France. 

       Les professionnels de santé publique sont en attente depuis plusieurs mois d’un « Ségur de la santé publique » à l’instar de la démarche engagée pour les soignants, mais les promesses du ministre de la santé dans ce domaine étaient jusqu’à présent restées lettre morte. Après les rapports d’évaluation de l'Assemblée nationale et du Sénat, la mission « Pittet » a évalué, à son tour, la gestion de la crise et la manière dont la société française a résisté à ce choc planétaire. Mais la mission d'évaluation ne se limite pas à un simple constat, déjà largement partagé. Un ensemble de 40 recommandations sur le système sanitaire, les dispositifs socioéconomiques et l’appareil de gestion de crise ont été élaborées. Parmi elles, nous en avons sélectionné sept qui constituent pour les acteurs concernés, Santé publique France, Haut conseil de santé publique, Agences régionales de santé, EHPAD, une clarification de leur cadre d’action.

 

Une « santé publique » ouverte aux sciences sociales et humaines, aux mathématiques et sciences de l’ingénieur

Proposition n° 12 : Concevoir un plan d’actions visant à accroître la place de la santé publique dans la formation des professionnels de santé. Ce plan devrait permettre de renforcer la discipline et son attractivité dans sa dimension universitaire, de favoriser l’intégration en son sein de disciplines non médicales (sciences sociales et humaines mais aussi mathématiques et sciences de l’ingénieur) et de contribuer à la diffusion d’une forte culture de santé publique auprès des professionnels de santé.

      La santé publique est une spécialité médicale qui a du mal à trouver sa place dans le système de santé français et à attirer de jeunes professionnels. Pour valoriser cette spécialité, la mission PITTET souhaite l’émergence d’un plan d’actions visant à accroître la place de la santé publique dans la formation des professionnels de santé, et à favoriser l’intégration en son sein de disciplines non médicales (sciences sociales et humaines mais aussi mathématiques et sciences de l’ingénieur). Mais le constat est ancien et les propositions de la mission PITTET restent vagues !

 

Redéfinir le périmètre d'action de Santé publique France, en confiant la gestion des stocks stratégiques à un opérateur unique externe à l'agence, et renforcer son action

Proposition n° 22 : Renforcer la légitimité de Santé publique France en matière d’expertise scientifique de santé publique, ce qui impose de donner la possibilité pour l’agence d’accueillir de manière permanente des praticiens hospitalo-universitaires en position normale d’activité, d’ouvrir cette possibilité à des universitaires d’autres disciplines (sociologie, économie, etc.), de doter l’agence des moyens permettant de définir, mettre en œuvre et financer des appels à projets de recherche scientifique et technique dont la finalité est la protection et l’amélioration de la santé des populations.

Proposition n° 4 : Confier la constitution et la gestion des stocks stratégiques ainsi que la supervision des opérations logistiques à un unique opérateur, placé sous la responsabilité du SGDSN (secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale). La gestion des stocks devrait faire l’objet d’une information publique régulière et transparente, sous réserve des impératifs de sécurité nationale.

        

     Parmi les différentes agences sanitaires, Santé publique France est celle qui a été la plus exposée au cours de cette crise sanitaire à travers l'exercice de ses différentes missions - gestion des masques et stocks stratégiques, réserve sanitaire, déploiement des différents systèmes d’information et surveillance épidémiologique, élaboration des campagnes de prévention.

     Les débuts de la crise sanitaire ont mis en évidence une mauvaise gestion prévisionnelle des masques et différents stocks stratégiques. « La fusion de l’ex-Eprus au sein de l’établissement public SPF n’a pas permis de maintenir les compétences exigées en contrôle pharmaceutique et en logistique, dans un contexte marqué d’une part par la prédominance des enjeux scientifiques de veille et d’éducation en santé, d’autre part par un pilotage insuffisant des stocks stratégiques par la Direction générale de la santé", estime la mission Pittet. "Il apparaît aujourd’hui à la Mission que SPF doit se concentrer sur ses missions scientifiques. Les missions de l’ex-Eprus concernant la gestion des stocks stratégiques nationaux de produits de santé devraient être confiées à un opérateur unique, chargé de constituer et de gérer les stocks stratégiques de tous les ministères, en prévision des crises à venir ».

      Si ces recommandations sont mis en œuvre, le périmètre d'action de l'agence devrait une nouvelle fois être modifié, la gestion des masques et stocks stratégiques étant confiée à un organisme ad hoc externe à l'Agence. Le but est de permettre à Santé publique France de se mobiliser pleinement sur ses missions scientifiques de surveillance épidémiologique et de prévention.

 

Réorganiser l’épidémiologie de terrain aux niveaux national et territorial

Proposition n° 18 : Réorganiser l’épidémiologie de terrain aux niveaux national et territorial et à cette fin :

·        rattacher les cellules d’intervention en région de Santé publique France (CIRE) aux ARS au sein d’équipes dédiées à l’épidémiologie d’intervention tout en pérennisant leurs liens fonctionnels avec SPF ;

·        conforter leurs moyens et leur couverture du territoire

·        maintenir une compétence en contact tracing au sein de l’Assurance maladie.

     

      La proposition 18 concerne elle aussi Santé publique France, les cellules épidémiologiques d’intervention en région (CIRE), étant rattachées à l'Agence sur le plan fonctionnel, tout en étant installées dans des locaux de l'ARS. Le scénario privilégié par la mission PITTET est de rattacher clairement les CIRE aux ARS, au sein d’équipes d’épidémiologistes d’intervention. Le rapport ne fait pas mention des Observatoires régionaux de santé (ORS), qui contribuent eux aussi à la connaissance épidémiologique dans les régions.

 

Rattacher le Haut conseil de santé publique (HCSP) à la Haute autorité de santé (HAS)

Proposition n° 20 : Renforcer les moyens du HCSP et conforter son indépendance, en le rattachant à la HAS ; préserver sa réactivité, en mettant en place une procédure de traitement accéléré de certaines saisines.

 

      Le rapport PITTET souligne l’importance du travail conduit par le HCSP pendant la crise, avec 116 avis et recommandations, toutes émises par des experts sur leur temps de travail. Le rattachement à la Haute autorité de santé (HAS) pourrait permettre d’indemniser les experts du HCSP selon les mêmes conditions que ceux de la HAS, mesure susceptible également de renforcer l’indépendance du HCSP, affirme la mission PITTET.

 

 

Renforcer les échelons territoriaux des ARS

Proposition n° 26 : Mettre en place un plan de renforcement des ARS au niveau départemental et à cette occasion, doter les délégations territoriales de moyens humains adaptés sur le plan qualitatif. Cette évolution doit s’accompagner d’une clarification sur le schéma de gestion de crise, rappelant le rôle de coordination du préfet de département.

 

      Au début de la crise du covid19, l’action des Agences régionales de santé (ARS) a été largement critiquée. La mission PITTET considère au contraire que les ARS ont pu répondre aux enjeux de la gestion de crise au niveau local en adaptant leur organisation et leurs procédures à une situation exceptionnelle. Il demeure « que leur organisation interne s’est révélée trop concentrée en particulier dans les régions les plus étendues, suscitant des incompréhensions avec les acteurs locaux », estime la mission. Il convient donc de renforcer les échelons territoriaux en particulier en nommant à leur tête des responsables aptes à dialoguer avec les responsables du département (préfets et élus) et à coordonner la conduite de projets en relation avec ces mêmes acteurs.

 

Une réforme des EHPAD : dans l’attente de la loi « autonomie »

Proposition n° 28 : Améliorer le dispositif de prise en charge des personnes âgées en établissement et en particulier :

·         Renforcer la médicalisation des EHPAD (ex. renforcement des effectifs et du rôle des médecins coordonnateurs, rôle des infirmières en pratiques avancées gériatriques, etc.) ;

·        Systématiser l’appui hospitalier (ex. gardes, astreintes sur la filière gériatrique, filières d’admission, support d’équipes mobiles multidisciplinaires, etc.) ;

·        Définir un référentiel d’exigences sur les soins faisant l’objet d’une certification externe et régulière ;

·        Renforcer, en liaison avec les départements, la programmation périodique des contrôles par les ARS, dont les procédures seront simplifiées pour en accélérer l’exécution.

 

       La crise sanitaire a une nouvelle fois mis en évidence l'inadaptation de notre organisation sanitaire pour la prise en charge des personnes âgées dépendantes dans les EHPAD. La mission PITTET propose plusieurs actions concrètes pour améliorer le dispositif de prise en charge, dans l'attente d'une loi "autonomie" annoncée en milieu du quinquennat mais qui tarde à voir le jour.

 

Source : Mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise Covid-19 et sur l'anticipation des risques pandémiques - Rapport final.



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