Une interview du Dr Luc Duquesnel,

président du syndicat Les généralistes-CSMF

Traditionnellement méfiants à l’égard des pouvoirs publics, une fois n’est pas coutume, trois syndicats de médecins généralistes libéraux - CSMF, MG France, SML - se retrouvent à la fois pour stigmatiser l’action des ARS depuis le début de la crise du COVID, mais aussi pour se féliciter du rôle qui est confié aux médecins de première ligne dans la stratégie de déconfinement, et pour apprécier l’appui que leur a apporté le directeur de la CNAM. Sur ces sujets, le Dr Duquesnel (Les généralistes-CSMF) nous apporte son point de vue dans une interview exclusive.

Il y a des réserves certes, car certains confrères sont réticents à transmettre les coordonnées d’un patient ayant les symptômes du Covid à l’assurance maladie pour la recherche des contacts...
Nous en avons discuté au syndicat et l’enjeu sanitaire doit nous permettre de dépasser ces réticences pour privilégier l’enjeu collectif afin d’éviter les milliers de morts que provoquerait une deuxième vague.

 

 

 

Comment s’organise la recherche des chaines de contamination depuis le 11 mai ?

Nous avons mis au point avec Nicolas Revel, le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), une organisation où le médecin généraliste est le premier maillon de la chaine. Au sein du gouvernement, certains souhaitaient que l’hôpital ou les pompiers soient les pilotes de ce plan sanitaire alors que d’autres étaient partisans de s’appuyer sur les professionnels de santé de premier recours et c’est cette deuxième option qui l’a emporté. Nous le devons à Nicolas Revel qui a eu l’intelligence de s’appuyer sur ce que l’on fait depuis deux mois, à savoir s’autoorganiser sur le terrain avec des prises en charge populationnelle et territoriale dans le cadre d’un exercice coordonné pluriprofessionnel.

Il y a des réserves certes, car certains confrères sont réticents à transmettre les coordonnées d’un patient ayant les symptômes du Covid à l’assurance maladie pour la recherche des contacts. C’est une question d’éthique et je partage leurs inquiétudes. Nous en avons discuté au syndicat et l’enjeu sanitaire doit nous permettre de dépasser ces réticences pour privilégier l’enjeu collectif afin d’éviter les milliers de morts que provoquerait une deuxième vague. Les conseillers de l’assurance maladie qui vont effectuer la recherche de contacts sont soumis au secret médical et sont encadrés par un médecin. Ce n’est pas la première fois que des personnels de l’assurance maladie sont en contact avec des assurés sociaux, comme pour le dispositif PRADO par exemple. Pour une raison obscure, le Covid ne fait pas encore partie des maladies à déclaration obligatoire (MDO), ce qui aurait simplifié notre tâche. Dans l’état actuel du projet de loi soumis au Parlement*, les patients ne peuvent pas refuser que l’information soit transmise mais le médecin peut s’y opposer.

Cette pandémie semble avoir été un formidable levier pour libérer les énergies

Je partage tout à fait ce point de vue. Les personnels soignants ont dû compter sur eux-mêmes, à l’hôpital comme en ville, et cette pandémie a fonctionné comme un accélérateur d’initiatives territoriales comme par exemple les SAS (services d’accès aux soins) qui avaient été envisagés avec l’ancienne ministre de la santé Agnès Buzyn. Tout le monde s’est mobilisé : les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), les communautés professionnelles de territoire (CPTS), les plateformes territoriales d’appui…

On assiste à une explosion des téléconsultations, et des consultations par téléphone.

Dans cette phase de crise aiguë, ce sont de bons outils. On verra après quant à sa pérennité en routine quand les mesures dérogatoires ne seront plus en vigueur. La consultation par téléphone est une bonne réponse pour des personnes qui n’ont pas accès aux plateformes de consultation à distance. Un simple coup de fil peut résoudre bien des problèmes. Il vaut mieux, quand cela suffit, être en contact avec les patients par téléphone que de participer à la diffusion du virus au sein d’une salle d’attente. Là encore, l’assurance maladie a joué le jeu et trouver une rémunération adaptée. 

Des critiques récurrentes sont portées sur les Agences régionales de santé à l’occasion de cette crise. Est-ce que vous partagez cette opinion ?

Les Ars se sont surtout intéressées aux services de réanimation, à l’équipement en respirateurs, ou à l’instauration de filières de soins spécialisées Covid dans les hôpitaux et aux urgences. En revanche, je suis obligé de constater une défaillance presque totale pour la mise à disposition de dispositifs de protection au bénéfice de professionnels de santé de premier recours mais aussi dans les EHPAD ou dans les établissements pour handicapés.

 

Ce manque de disponibilité des matériels de protection ne peut être imputé aux ARS dans la mesure où il concernait l’ensemble du pays, y compris les établissements de santé.

L’essentiel des actions menées par les ARS au début de l’épidémie a concerné le secteur hospitalier. Le plan blanc a été déclenché de manière à libérer des capacités hospitalières dans le public comme dans le privé. Mais rien n’était prévu pour le premier recours et nous avons du tout improviser.

Où est la plus-value des ARS qui existent pourtant maintenant depuis dix ans ? Je préfère le temps d’avant, quand nous avions un interlocuteur départemental au sein des Directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDAS) qui était mieux en mesure de répondre à nos questions et de nous aider à nous organiser sur le terrain. Dans beaucoup de régions, les ARS ont été en grande difficulté pour apporter une réponse à la hauteur de cette crise. On sait que certaines régions sont très étendues et pourtant les délégations départementales ont très peu d’autonomie décisionnelle. Les ARS ont connu des mouvements de personnels importants, ceux-ci venant d’horizon professionnels très différents, et des réorganisations où la santé publique est passée au deuxième plan.

Dans les régions Nouvelle Aquitaine et Centre Val de Loire, les ARS ont établi un cahier des charges très lourd pour les centres de consultation Covid extérieurs aux cabinets médicaux. Mais les agences ont refusé dans ces deux régions d’appliquer l’arrêté ministériel du 28 mars qui prévoie une rémunération des professionnels de santé libéraux qui intervenaient dans ces centres, quel que soit le niveau d’activité de ces centres. Pourquoi ? Ces centres constituent pourtant une formidable initiative des territoires, en permettant de recevoir les patients chez lesquels on soupçonne un Covid, d’effectuer un test, de les orienter… Cette organisation va encore être mobilisée à l’occasion du déconfinement. Par contre, il faut reconnaître à certaines ARS, comme celle des Pays de la Loire, d’avoir accepté d’accompagner financièrement les organisations mises en place par les professionnels de santé libéraux qui n’ont pas hésité à monter sur le front.

* Cette interview a eu lieu avant que soit adoptée la loi d'urgence sanitaire qui a été publiée le 11 mai 2020. Les dispositions relatives au système d'information de traçage des chaînes de contamination sont décrites dans l'article 11.


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