Les Agences régionales de santé et le CovID-19

Une interview de mme marie-sophie desaulle, PRÉSIDENTE DE LA FEHAP

Mme Marie-Sophie Desaulle a fait partie du petit noyau de préconfiguration des ARS, et a mis en place et dirigé l’ARS des Pays de la Loire de 2010 à 2015.

En mars 2019, elle a été élue présidente de la FEHAP, principale fédération des établissements privés du secteur associatif, mutualiste…
A ce titre, elle est particulièrement bien placée pour essayer de porter un regard critique sur les dix premières années de vie des ARS, dans un contexte il est vrai très particulier, en pleine crise sanitaire, économique et sociale.


La bureaucratie vient de notre organisation administrative jacobine très centralisée, très procédurale.
Les ARS ne font qu’appliquer les procédures et normes imposées par le Ministère de la santé. Les ARS ont été créées pour organiser une égalité de traitement dans tous les territoires. Pourquoi imposer systématiquement un contrôle a priori ? Pourquoi ne pas laisser les acteurs s’organiser avec un minimum de références professionnelles, en faisant confiance et en introduisant essentiellement un contrôle a posteriori ?

      FIL SANTÉ # - La création des ARS s’est effectuée d’une certaine manière envers et contre tous : l’assurance maladie, les préfets, les syndicats de médecins libéraux, les syndicats de salariés, l’opposition parlementaire… Dix ans plus tard, où en est-on ? Est-ce que, selon vous, les ARS ont définitivement trouvé leur place dans l’organisation sanitaire ?

MS Desaulle - Ce n’est jamais gagné, et la crise que nous vivons actuellement le montre bien. Il y aura toujours des groupes d’intérêt persuadés que les choses pourraient aller mieux avec une organisation différente. Les ARS auront toujours à prouver leur efficacité et je ne considère pas que ce soit un drame. Elles doivent sans arrêt s’améliorer parce que le monde change. Les ARS s’adaptent pour répondre aux nouveaux besoins sociaux qui émergent sans cesse…

  • FIL SANTÉ # - Certains professionnels de santé libéraux qui portent des projets de Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) ou de Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) se plaignent sur les réseaux sociaux de la bureaucratie qu’ils doivent affronter pour défendre leurs dossiers devant les ARS.

MS Desaulle - La bureaucratie vient de notre organisation administrative jacobine très centralisée, très procédurale. Les ARS ne font qu’appliquer les procédures et normes imposées par le Ministère de la santé. Les ARS ont été créées pour organiser une égalité de traitement dans tous les territoires. Pourquoi imposer systématiquement un contrôle a priori ? Pourquoi ne pas laisser les acteurs s’organiser avec un minimum de références professionnelles, en faisant confiance et en introduisant essentiellement un contrôle a posteriori ?

  • FIL SANTÉ # - Le premier objectif de la création des ARS était de proposer un pilotage unique des politiques de santé au niveau régional. Objectif atteint : mais comment réunir autant de compétences et de métiers au niveau régional pour surveiller la qualité des eaux de baignade, fixer le tarif d’hébergement des EHPAD ou des structures pour personnes en situation de handicap, faciliter l’ouverture des lits de réanimation en cas d’urgences sanitaires, encourager le développement des maisons de santé pluriprofessionnelles, coordonner l’action gériatrique, développer la prévention du tabagisme contre l’alcoolisation, organiser un recueil de données pour la veille et l’alerte… et porter les dizaines de programmes et plans de santé lancés par le ministère de la santé, en plus du Projet régional de santé lui-même qu’arrête l’ARS. Rappelons qu’au plan national, c’est une douzaine d’agences sanitaires qui portent l’expertise dans ce domaine.

MS Desaulle - C’est très difficile en effet, mais c’est quoi l’alternative ? Continuer à promouvoir des organismes avec des logiques nationales qui s’affrontent entre elles, et incapables, par définition, de construire une stratégie pour l’ensemble du champ sanitaire. Le pari des ARS c’est de tenter le regroupement de compétences au profit d’une politique régionale. Ce n’est pas génial, mais cet échelon de coordination apparaît dans bien des cas aujourd’hui comme incontournable. Regardez la feuille de route en santé mentale ! Quelle est la seule instance légitime pour mettre à plat les politiques de prévention, parcours de soins (hôpital, premier recours), et de réhabilitation au plan local, et réunir tous ces acteurs autour d’une même table ? Ce n’est pas si mal.

  • FIL SANTÉ # - Il y a eu une très forte simplification de l’organigramme au plan régional, mais cela n’a pas été le cas au plan national. Un Conseil national de pilotage des ARS a été institué, dès l’origine, pour coordonner l’action de l’État au niveau régional, avec un flux « unique » d’instructions. Cela a-t-il vraiment représenté une simplification au plan régional. Les ARS sont maintenant représentées dans ce conseil. Est-ce que cette instance joue vraiment son rôle de coordination de l’action de l’État, l’assurance maladie, les agences sanitaires, les directions ministérielles… ?

MS Desaulle - Le Conseil national de pilotage des ARS est indispensable afin de coordonner l’action de l’État dans le champ des ARS. Je peux témoigner de ce que j’ai vécu, à savoir une administration centrale qui continue à produire des circulaires pour chaque thème qui la concerne sans tenir compte de la dynamique globale et de l’interdépendance des politiques de santé. Les différentes directions d’administration centrale ont continué à produire leurs circulaires s’accumulant les unes aux autres. Depuis que j’ai quitté mon poste, il me semble que les choses se sont améliorées en ce qui concerne les relations avec les administrations centrales et les ARS. Mais notre tradition centralisatrice reste forte avec une administration qui veut tout contrôler et qui ne fait pas confiance : c’est profondément contraire à l’esprit de création des ARS. Cela ne nous dispense pas bien au contraire d’une évaluation de l’action des ARS.

  • FIL SANTÉ # - Alors que les ARS venaient de trouver leur rythme de croisière, elles ont été une nouvelle fois obligées de se réorganiser pour mettre en œuvre la recomposition des régions, dont le nombre a été divisé par deux. Une redéfinition des périmètres qui ne semble pas tout à fait abouti. Comment organiser une gouvernance à 12 départements comme en Aquitaine par exemple ou en Occitanie ?

MS Desaulle - Les dynamiques des régions étaient très fortes avant le redécoupage territorial. Cette réforme qui a nécessité un temps d’adaptation pour tous les acteurs concernés a constitué un point d’arrêt dans la mise en œuvre des politiques de santé dans les régions concernées.

  •  FIL SANTÉ # - Quel est le degré réel d’autonomie des ARS ? Les agences administrent notamment le Fonds d’intervention régional (FIR), d’un montant de 3 milliards € en 2019, soit environ 1,5 % de l’ONDAM. Mais la plupart de ces crédits sont fléchés et la marge de manœuvre des agences semble très réduite en réalité.

MS Desaulle - Il y a eu un avant et un après FIR. La création de ce fonds a été une mesure très positive car les ARS ont ainsi pu disposer de crédits leur permettant de mieux prendre en compte les réalités territoriales. Pour la première fois, elles ont disposé de financements qui ne fonctionnaient pas en tuyaux d’orgues. D’autant que, depuis sa création, les crédits du FIR ont progressé plus vite que les autres crédits. Est-ce que l’on est allé assez loin ? Sans aucun doute, non. Car la fongibilité des crédits entre les différentes enveloppes n’est toujours pas réelle, pour l’ensemble des crédits (sanitaire, médico-social, prévention, environnement…).

  • FIL SANTÉ # - Quand vous dirigiez l’ARS des Pays de la Loire, la CNAM avait publié un indicateur permettant de comparer la dépense de santé par habitant entre région. L’écart était de 28 % entre la région la mieux dotée PACA, et les Pays de la Loire, région la moins dotée. Depuis, ces données n’ont pas été mises à jour au moins publiquement. Etes-vous favorable à un ONDAM régional, qui permette de rééquilibrer ces écarts et prenne en compte les disparités de moyens dont disposent les régions ?

MS Desaulle - En ce qui concerne les déséquilibres de moyens financiers entre régions, un certain nombre de rééquilibrages ont été opérés depuis. Quant au vote par le Parlement, au sein de l’ONDAM, d’une enveloppe spécifique à chaque région je n’y suis pas favorable. En revanche sur la base d’une fongibilité entre les différentes composantes de l'ONDAM (établissements de santé, médicaments, soins ambulatoires, médico-social...) par les ARS, il faudrait entreprendre ex post une vérification pour s’assurer que chaque région n’a pas dépensé plus que ce que lui était affecté au global.

  • FIL SANTÉ # - Parmi les nombreux dossiers portés par les ARS, celui de la psychiatrie n’est pas des moindre. Une feuille de route en santé mentale a été décidée en 2018, et un délégué ministériel, le Pr Bellivier coordonne sa mise en œuvre. Comment les établissements de la FEHAP concernés prennent-ils en compte ces changements ?

MS Desaulle - Les établissements qui ont une activité de soins psychiatriques sont en grande difficulté actuellement car ils ont énormément de mal à recruter des personnels soignants (praticiens, infirmiers…) et c’est le problème le plus urgent à traiter. Le dossier psychiatrie montre bien la nécessité de sortir des logiques de silo et de porter en même temps les questions relatives à la prévention, au parcours de soins, et à la réhabilitation. Le secteur psychiatrique a été créé il y a 60 ans dans ce but, mais, malgré son déploiement sur l’ensemble du territoire, il n’a pas été en mesure de dépasser, dans bien des cas, les logiques purement hospitalières. Le déroulement de la feuille de route met en lumière des initiatives intéressantes comme les Conseils locaux de santé mentale, à l’intérieur desquels, l’ensemble des acteurs peuvent se concerter au niveau communal. L’élaboration des plans territoriaux de santé mentale (PTSM) est l’occasion de mettre tout le monde autour de la table pour une meilleure articulation entre le sanitaire, le médico-social et le social. Un dossier qui met en évidence la capacité de regroupement des compétences de l’ARS.

  • FIL SANTÉ # - Le terme de Démocratie sanitaire est aujourd’hui moins à la mode. Les Conférences régionales de santé et d’autonomie et les Conseils territoriaux de santé sont inconnus des français. S’agit-il de simples chambres d’enregistrement. Pourquoi deux instances, l’une départementale et l’autre régionale ? La crise des gilets jaunes a souligné l’éloignement entre les décideurs et la population, notamment en ce qui concerne les politiques de santé. Le niveau territorial local, en l’occurrence le département, semble le mieux à même pour organiser l’information des populations sur le plan des politiques de santé. Pourquoi ne pas constituer une seule instance départementale, avec une conférence régionale constituée des représentants de terrain, plutôt que des membres d’une conférence régionale éloignés du terrain.

MS Desaulle - Je suis très attachée à la mise en place des lieux de démocratie sanitaire, que sont les Conférences régionales de santé et d’autonomie. Je ne considère pas les CRSA comme des chambres d’enregistrement mais comme des instances qui doivent participer à la co-construction des décisions. Le niveau régional reste le plus pertinent pour le pilotage des politiques de santé au niveau local. Mais cela ne suffit sans doute pas. Quel est le bon niveau local pour des échanges et débats relatifs aux politiques de santé : le département (mais il rentre en concurrence avec d’autres lieux de décision politique), le niveau communal avec l’exemple des conseils locaux de santé mentale, le territoire des Maisons de santé pluriprofessionnelles... Les contrats locaux de santé sont aussi des moyens de construction d’une réponse dans une logique de démocratie sanitaire.

  • FIL SANTÉ # - Les ARS partagent avec les Conseils départementaux deux chantiers majeurs : la planification et la tarification des établissements et services pour personnes âgées dépendantes et/ou en situation de handicap. Les directeurs d’établissements (et notamment ceux qui adhérent à la FEHAP) doivent préparer double budget. Quand est-ce que cette bureaucratie inutile va s’arrêter ?

MS Desaulle - En tant que présidente de la FEHAP, pour moi les choses sont claires. Nous avons besoin d’un vrai choc de simplification. Pendant la crise, nous avons trouvé sur le terrain, entre les différents acteurs, des réponses rapides à mettre en œuvre pour faire face aux urgences. Il serait précieux d’en tenir compte une fois la crise passée. Cette double tutelle et double tarification sont un frein à l’imagination et doivent être abandonnées.

  • FIL SANTÉ # - Nous sommes en pleine crise du CovID-19. Est-ce que, selon vous, les ARS résistent bien à cet événement sans précédent dans notre histoire ?

MS Desaulle - Ma réponse est clairement oui ! Je pense qu’avec le regroupement des compétences, les ARS ont été en mesure d’apporter une réponse unifiée ce qui a constitué incontestablement un plus dans la gestion de la crise. L’administration a tenu et les ARS ont été en capacité d’adapter leurs réponses aux urgences qui se présentaient. J’ai suivi plus particulièrement les échanges avec l’ARS Ile-de-France : les adaptations organisationnelles ont été rendues possibles parce qu’il y avait des habitudes de travail en commun. Prenons l’exemple des établissements publics et privés de santé qui ont montré à cette occasion leur capacité à se transformer dans des délais très courts pour prendre en charge les patients Covid-19. A qui doit-on cette plasticité des organisations sanitaires ? L’ensemble du système s’est adapté. Je relie ça à la compétence collective acquise par les équipes de santé. Il en est de même pour les déplacements de patients d’une région à une autre. Face à un événement majeur, tout le monde a joué collectif ce qui a été salué par tous les acteurs. Les clivages habituels direction/équipes soignantes, public/privé, ARS/établissements de santés se sont effacés devant l’intérêt collectif. Les directions d’établissements et les ARS ont su alléger les normes et les contraintes. Il faudra en tenir compte dans le futur pour le choc de simplification dont nous avons besoin.

  • FIL SANTÉ # - Les EHPAD semblent être le maillon faible de cette crise sanitaire cette épidémie touchant violement les plus âgés. De nombreux cas groupés ont été identifiés dans les EHPAD, et certains établissements doivent faire face à des séries de décès, sans accompagnement des familles. Ce secteur était-il particulièrement mal préparé à cette crise sans précédent, par manque de moyens ou inadaptation de l’organisation des soins dans ces structures ?

MS Desaulle - Les faiblesses préexistantes n’ont pas disparu avec la crise. Les taux d’encadrement insuffisants ont amplifié les difficultés de prise en charge des patients CovID-19. A tort, les professionnels des EHPAD n’ont pas été dotés dès le départ de matériels de protection, et ceux-ci ont contribué à contaminer les résidents. Certes les résidents ont été assez vite confinés, mais le virus a été transmis par les professionnels qui n’étaient pas protégés. Cette crise a révélé une analyse insuffisante du risque en EHPAD, établissements qui n’ont pas été jugés prioritaires dans la gestion de l’épidémie.

  • FIL SANTÉ # - Les établissements rattachés à la FEHAP subissent depuis plusieurs années, comme les autres fédérations hospitalières, des budgets très contraints. Qu’attendez-vous de l’après Covid-19 ?

MS Desaulle - Dans l’immédiat, la priorité est de compenser la perte d’activité liée à la prise en charge du CovID-19. Nos hôpitaux ont effet décalé tous les rendez-vous et soins hospitaliers ce qui correspond à une baisse substantielle de recettes. La deuxième priorité concerne l’attractivité des métiers, qui est indispensable pour que ces établissements puissent attirer les soignants. Enfin, une politique d’investissement massif doit être menée, aussi bien au niveau des locaux que des dispositifs médicaux qui ont fait défaut.

  • FIL SANTÉ # - Actuellement, tous les regards sont portés sur les politiques de santé. Mais, en routine, celles-ci sont portées par des techniciens ou des experts, à l’abri des regards. Et les tenants et aboutissants de la préparation de la loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ne passionnent qu’une minorité de personnes directement concernées. Est-ce que la crise du Covid-19 va transformer selon vous, l’intérêt que la population porte aux politiques de santé ?

MS Desaulle - Je l’espère ! Mais un mouvement s’est déjà amorcé avec la crise des gilets jaunes qui a montré que les sujets santé étaient portés spontanément dans les cahiers de doléances. Cela fait déjà un certain temps que la population a des choses à dire à propos des questions de santé. Je ne suis pas sûre que la Loi de financement de la sécurité sociale soit le meilleur moment pour débattre des politiques de santé. Comme pour la programmation militaire, nous avons besoin d’une loi-cadre, à l’instar de ce qui se prépare pour le grand âge.

  • FIL SANTÉ # - Il est actuellement impossible de connaître la réalité des principaux plans et programmes de santé, le PNNS par exemple, leur pilotage, le degré d’avancement, la mise en œuvre dans les régions… ce qui ne semble déranger en réalité personne.

MS Desaulle - Je suis tout à fait d’accord avec vous. Cette organisation hyper segmentée des plans est à revoir en profondeur. Je reviens à mon idée d’une loi-cadre qui encadre l’action de l’État dans ce domaine, avec bien sûr un reporting et une évaluation à la clé.



Commentaires: 2
  • #2

    Le Vigouroux Alain (samedi, 18 avril 2020 19:04)

    Pour avoir exercé depuis la création des ARS en tant que conseiller médical auprès de différents directions (Offre de soins, prévention santé publique...), la question du renforcement des DRH doit être posée. Les DRH montrent leur faiblesses tant sur le plan des politiques de formation que sur une politique de recrutement et de gestion des RH. La priorité serait à accorder aux compétences à identifier et à placer au bon endroit. Aujourd'hui, trop administrative, cette démarche ou "politique de RH" gagnerait à être développée au sein des ARS et ce, au service des bénéficiaires des territoires.
    Par ailleurs, je partage cette analyse notament sur une "tradition centralisatrice qui reste forte avec une administration qui veut tout contrôler".

  • #1

    Pénard Marie Paule (jeudi, 16 avril 2020 22:36)

    Je partage l'avis sur la segmentation des programmes de santé tels PNNS , PRSS.. à quand la tansparence pour des échanges constructifs ayant pour objectifs l'égalité d'accès à l'information
    au droit et l'accès aux soins